4 Univers en papier

Gilles Bechet -

Le papier est un support à part entière qui appelle autant d'approches et de techniques que d'artistes. De la musique de chambre qui fait sonner et dissoner les traits et les couleurs sur quelques centimètres carrés. En préambule à Art on Paper, Bazar a poussé la porte de 4 ateliers d'artistes pour 4 rencontres exclusives.

 

Atelier d'Adrien Lucca ©Luis Davila
Explorateur des couleurs, Adrien Lucca associe la réflexion mathématique, les outils numériques et l’intuition artistique. Chercheur inlassable et obstiné, il trace son chemin dans le dédale des 16.777.216 combinaisons possibles à partir des dix cartouches couleur de son imprimante. Rigoureux, il ne part jamais sans carte ni boussole. Il sait où il va sans savoir exactement où il arrivera. Les objets colorés qui apparaissent sur le papier sont la transposition physique des objets lumineux générés par des algorithmes. Chaque objet lumineux est la traduction d’une fonction mathématique. Quand j’ai une idée, elle naît au sein d’un cadre conceptuel et technique très précis. Dans l’art numérique, les idées apparaissent dans un ordre parfois différent car elles peuvent être générées et aussi contraintes par les outils que l’on utilise. Et à cela s’ajoute une grande part de hasard .

 

Extrait de Maquette v.0.8.1 15/7/2015, 21 h 10 min 5 s 3 1Échelles 3535 lumières 1644 x 1644 pixels Impression jet d'encre pigment sur toile - Qualité archive 61 x 64 cm ©Adrien Lucca
Plasticien, Adrien Lucca est aussi musicien. C’est en travaillant le son qu’il a développé la logique de son travail visuel. Je pars toujours de petits éléments, qu’ils soient visuels ou sonores, que je combine en fonction d’une approche mathématique prédéfinie. La magie de ce travail, qui tient aussi de la nature même de l’algorithme, c’est que chaque image est unique et qu’elle acquiert une beauté qui dépasse la simple suite de chiffres. Le résultat reste de l’art visuel, quelque chose qu’on peut apprécier sans références, de la même façon qu’il ne faut pas être musicologue pour apprécier une composition de Steve Reich.
Les codes couleursd'Adrien Lucca
Atelier d'Adrien Lucca ©Luis Davila
Pendant quelques années, Adrien a travaillé sur papier réalisant ses compositions aux superpositions complexes avec des instruments et à la main. Un travail de bénédictin qui pouvait prendre des jours et des jours. Chaque dessin s’articule autour d’une grille de couleurs préparée avec la précision et la rigueur d’un primitif flamand. En passant à l’imprimante professionnelle à jet d’encre, l’artiste, également professeur de couleur à La Cambre, a dû laisser la machine réaliser les mélanges de couleurs à partir des algorithmes qu’il a programmés.

 

 

 

Atelier de Michael Matthys ©Michael Matthys
Michaël Matthys s’est plongé au cœur des ténèbres. Dans le roman de Conrad, il a trouvé une matière brute et poisseuse, fertile en images et en atmosphère fantomatiques. Il raconte l’histoire dans un livre dessiné dont il extrait certaines images qui deviennent de grands dessins intenses et charbonneux. Des images qui parlent de notre monde.

 

Atelier de Michael Matthys ©Michael Matthys
Ce personnage qui se perd et se dissout dans la moiteur de la jungle, ça correspond à mon histoire. J’ai eu de la famille au Congo. Des arrières-oncles ont posé des rails de chemin de fer et des tantes ont cousu des costumes en lin. Même avant de l’avoir lu, Michaël Matthys a toujours eu ce livre en lui, et pourtant il n’est jamais allé au Congo. Ça me fait peur d’aller là-bas. Peut-être que ça devrait rester un rêve. Mais en tout cas, me plonger dans ce livre me donne beaucoup d’énergie. Et il y a urgence car c’est maintenant qu’il faut le faire.

 

Atelier de Michael Matthys ©Michael Matthys
Les grands dessins qui pendent aux murs de son atelier sont souvent inachevés. Il aime y revenir comme on retourne au combat. J’ai besoin de laisser reposer les choses pour voir si ça fonctionne. Travailler en grand me permet de sentir directement si quelque chose ne fonctionne pas. Dans son travail, il laisse beaucoup de place aux accidents. Parfois, d’un coup de manche, il efface une partie du dessin. Des fois, je le redessine et d’autres fois, je trouve cette absence intéressante et je la laisse.
Le rêve noirde Michael Matthys

 

©Michael Matthys
Certaines images sont presque abstraites. L’eau du fleuve engloutit la végétation qui se noie dans le ciel. Des personnages, il ne reste que des silhouettes, des spectres, des carcasses figées derrière un masque. Des traits rageurs cisaillent parfois les dessins comme des éclairs noirs.

 

 

 

©Marie Rosen
Les aquarelles de Marie Rosen dessinent les contours de singuliers fragments de paysages. D’ailleurs, ce ne sont peut-être pas des paysages, mais une construction mentale. Dans ces objets architecturaux ou végétaux qui semblent flotter sur le blanc du papier, pas l’ombre d’une menace. Étrange oui, mais une étrangeté apaisée. Marie Rosen ne donne pas de titres à ces dessins. Les mots, ce n’est pas mon truc. Sinon, j’aurais l’impression de redire la même chose. Alors, elle nous laisse avec ses images d’objets intrigants et mystérieux. On ne sait pas ce que c’est, une grille ou un couloir, une haie taupée ou du béton. C’est ouvert à l’interprétation de chacun.
Les paysages intérieursde Marie Rosen
©Marie Rosen
Les aquarelles de Marie Rosen sont comme un contre-jour surexposé de son travail en peinture. Le choix du noir et blanc tient à la volonté de se détacher de on travail en peinture. Comme s’il s’agissait d’une esquisse, d’une chambre de pensée et aussi d’un pas vers l’abstraction. Je laisse pas mal de place au blanc. C’est un travail sur la matière et les textures. Mais aussi beaucoup de sensualité, tout en retenue. Il n’y a pas de frontière entre l’envers et l’endroit, le support et la matière. Elle dessine sur du lin qu’elle enduit d’une préparation pour lui donner un pouvoir très absorbant. Encadrées, les aquarelles laissent toujours voir la texture de ce papier qui est plus que du papier. Pour ses peintures, elle attache autant d’attention au support qu’à l’image. Les châssis sont assemblés et poncés avec le même soin qu’elle porte à adoucir ses formes de son univers pictural.

 

 

 

La fabrique du savoirde Wesley Meuris
Biotechnology an#39644B ©Wesley Meuris

Ceux qui fréquentent les musées et expositions n’ont parfois pas conscience de l’évolution que traversent ces institutions. Montrer de l’art ou des productions culturelles est une chose, mais il y en a beaucoup d’autres. À travers ses œuvres protéiformes où l’observation se mêle à la fiction, Wesley Meuris déconstruit les manières de montrer et de consommer le savoir aujourd’hui. Il y a une centaine d’années, les espaces d’exposition occupaient 80 % des musées. Aujourd’hui, cet espace s’est réduit à 40 % car on ne conçoit plus un musée moderne sans une boutique, un restaurant, un auditorium ou des salles réservées à la recherche. On ne va plus au musée seulement pour voir de l’art mais pour vivre une expérience. Wesley Meuris utilise les codes de communication muséographiques contemporains pour créer une réalité parallèle plus vraie que nature.

InformationsPratiques
Atelier de Wesley Meuris ©Wesley Mueris
Le ticket d’entrée pour l’exposition Mythic Creatures est un spécial visite nocturne. Les lampes de poche sont à demander à l’accueil. Celui pour l’exposition des chefs d’œuvres du Caravage propose des activités complémentaires : programme musical ou atelier de peinture. Un café gratuit est offert au bar où de délicieuses tartes aux fruits sont proposées. Sur le ticket, une splendide nature morte aux fruits. Dans cette métamorphose des musées devenus centres de loisirs, Wesley Meuris englobe également les lieux de culte. Dans son plan d’une « Mosquée avec une vue contemporaine » qui, après restauration, propose sous un même dôme un lieu de prière, des espaces d’exposition, un auditorium et un magasin de souvenirs. Sans oublier le panorama sur la ville depuis le minaret bleu. Les chaussures ne sont pas autorisées.