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©Antone Israel
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Antone Israel
le pêcheur de lumière

Gilles Bechet -

Avec ses installations filmiques qu’il présente au maac, le jeune artiste Antone Israel suspend le temps et nous invite à regarder autrement l’apparition et la disparition des images. Une exposition fragile et magique. Un voyage du visible à l’invisible. Et retour.

 

Succession

Dans la profusion d’écrans qui nous entourent, l’image devient une commodité, un flux continu où l’instant n’est rien. Seule compte la succession, le renouvellement pour occuper le champ visuel. Depuis ses débuts, Antone Israel a fait de l’image filmique sur pellicule, le cœur de sa recherche et de sa réflexion artistique.
Cette image fragile, instable, qu’il fait apparaître et disparaitre, que nous raconte-t-elle ? Presque toujours surgies du passé, ses images agissent sur les couches et dépôts de la mémoire. Pas immédiatement signifiantes, elles soulèvent des questions comme si elles activaient un halo lumineux qui caresse notre imaginaire et nos envies de fictions intimes.

Un moment
Dans les quatre installations qu’il propose au MAAC, Antone Israel nous invite à voir l’apparition d’une image comme un phénomène magique, qui si on prend le temps de regarder et de rêver, n’a rien de banal. Loin d’un flux interrompu où une image n’existe que pour amener la suivante, il nous permet d’assister à un moment qui existe de la rencontre d’un projecteur, d’un bout de pellicule et d’un rayon de lumière. C’est pour ça aussi que les images projetées ne sont jamais bien grandes, car elles sont le résultat d’un process qu’il s’approprie et transforme pour emmener l’image tremblotante ailleurs, loin de la représentation littérale.

Des Gifs argentiques
L’Éternel Retour qui donne son titre à l’exposition est celui que permettent la boucle et les répétitions d’une même séquence, un jeu avec le temps pour s’éloigner du réel et titiller nos souvenirs. On peut voir ces boucles comme des Gifs argentiques. Quand la répétition transcende la durée, il n’y a plus de durée. souligne l’artiste. Dans La Broyeuse, une courte séquence de quelques secondes est projetée pour être ensuite déchiquetée. Aussitôt visionnée aussitôt broyée, métaphore de la mémoire défaillante, et aussi de l’obsolescence programmée à laquelle les archives sont immanquablement vouées. Difficilement reconnaissable, le film mangé par la machine est une copie de ces innombrables bobines d’archives que l’artiste rassemble et collectionne pour nourrir son travail.

Dématérialisation
Comment quelques boîtes de vieille pellicule 16 mm en provenance de l’ancienne ambassade d’Égypte se sont-elles retrouvées sur l’étal d’un brocanteur de la place du jeu de Balle ? C’est la circulation aléatoire des images avant la dématérialisation numérique. A la toute fin d’un film vraisemblablement touristique tourné en 1954 et qui montre la Jordanie et les ruines de Petra, une séquence a retenu l’attention de l’artiste, des gosses, sans doute des palestiniens, jouent à la guerre dans un camp de réfugiés. Et on voit un enfant pointer sa kalach en bois en direction de l’objectif. Dans Los juegos no son siempre innocentes, Antone Israel isole ce moment et le duplique rendant la pellicule de plus en plus illisible. Trois projecteurs, trois images de ce même geste, de ce même sourire innocent progressivement mangés, creusés de petits trous tout ronds qui expulsent la narration et le sens. C’est une déconstruction et une dématérialisation de la figure et de la représentation.

Plateau tournant
L’artiste ne travaille pas uniquement avec des images d’archives ou avec du « found footage ». Parfois, il tourne lui même certaines séquences comme l’image de pierre tombale qu’on entrevoit dans la cave ou encore celle qui habite la très belle installation L’apnée. Grâce à la boucle mécanique du projecteur dont les bras moulinent comme un nageur de crawl, l’image montre un buste suspendu hors de l’eau tomber et revenir inlassablement à la surface des flots comme une goutte de liquide humain.
Une dernière installation occupe toute une pièce. Deux projecteurs posés sur un plateau tournant balaient leur rayons comme un phare. Un rectangle lumineux aux contours imprécis fait le tour de la pièce et caresse les murs de briques chaulés de blanc. L’image qui passe par toutes les focales n’est identifiable qu’à un bref moment. On voit alors un jockey tomber de son cheval en pleine course. La séquence est extraite d’un film acheté sur internet qui rassemble toutes les morts filmées en direct reprises dans les actualités cinématographiques. Ça s’appelle l’heure du destin. Un projecteur tourne en avant, l’autre en arrière. Le jockey anonyme défie la mort en succombant et ressuscitant en boucle.

L’image en mouvement fait tellement partie de nos vies qu’on n’est plus habitués à la regarder de cette manière. Il ne faut rien attendre de spectaculaire dans ce travail, mais plutôt une invitation à se glisser dans les interstices de l’image et à arpenter un temps suspendu.

 

Antone Israel L’Eternel Retour, jusqu’au 01/04, Maac, rue des Chartreux 26-28 www.maac.be