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Angel Olsen ©Amanda Marsalis

Angel Olsen
Interview long format

Gilles Bechet -

Rencontre avec Angel Olsen, le 29 octobre 2016 au Botanique, critique du CD

 

Quand je chante une chanson, je ne sais plus d’où elle vient

Angel Olsen est très agréable et souriante en interview. Loin de la diva glamour ou de la folkeuse introspective, l’américaine, vêtue d’une blouse blanche et d’un jean, chaussée de mules, est chaleureuse et volubile. Elle aime parler, comme si trop de mots et d’histoires se télescopent dans sa tête. Elle commence par évoquer son premier concert à Bruxelles dans un café bar « quelque part dans les hauteurs » devant une poignée de spectateurs.

Elle explique le soulagement d’avoir pu réaliser le disque qu’elle voulait.

C’est un disque qui est plus honnête. Je voulais me rapprocher du genre de musique que j’écoute, du jazz, de la soul et des chansons que je veux pouvoir jouer live avec mon groupe. Même si ça ne marche pas et si tout le monde ne l’approuve pas esthétiquement, c’est à moi à le rendre intéressant. Parfois quand je chante une chanson, je ne sais plus d’où elle vient. Quand j’écoute les chansons de Strange Cacti, ma première cassette, je me demande si je comprenais vraiment ce que je voulais dire quand j’ai écrit ça. J’avais 21 22 ans, j’étais prétentieuse et c’est maintenant que ça me semble évident. Avec My Woman, c’est comme si j’avais effacé l’ardoise et que je redémarre avec de nouveaux défis

Il ne faudrait pas la croire jusqu’au bout. L’ardoise n’est pas complètement effacée. Plus maîtrisé et plus libéré musicalement, ce troisième album ne rompt pas avec l’univers et les émotions de ses deux premiers albums, il les prolonge et les amplifie. Après le deuxième album, elle a beaucoup tourné avec son groupe aux States et en Europe et goûté aux plaisirs et déboires de la vie sur la route.

Après un an, j’étais épuisée et je perdais ma voix. J’ai fait pas mal de festivals où j’ai rencontré d’autres artistes avec qui j’ai beaucoup parlé, de choses personnelles et de l’industrie musicale. J’ai réalisé qu’on peut prendre ce métier comme un jeu où on crée son propre univers et puis on observe comment il se transforme quand ça revient vers vous. Il y a toujours des choses à en retirer même si parfois je peux en avoir marre de reprendre certaines chansons, que je n’ai pas dormi depuis une semaine et que j’en ai assez de parler tout le temps de moi. 

Aujourd’hui elle vit à Ashville en Caroline du Nord, une ville de 80.000 habitants au pieds des Blue Ridge Mountains. Il suffit de lui demander d’où elle vient pour que la mémoire et la machine à histoires se mettent à tourner.

J’ai grandi à Saint Louis. C’est un environnement assez triste et morne comme Detroit. Il n’y avait pas beaucoup de possibilités d’y faire de la musique, alors j’ai déménagé à Chicago où je travaillais dans un café. C’était fréquenté par des musiciens et des étudiants en art qui montaient régulièrement des concerts et des évènements. J’y ai donné quelques concerts. On faisait aussi des soirées thématiques où tout le monde s’habillait, comme dans les années 30 par exemple. Pour entrer gratuitement, il fallait se déguiser et le meilleur déguisement recevait un prix. Il y avait un glacier italien à l’étage du dessus et on avait aussi une réduction sur le prix des glaces. Plus tard quand j’ai commencé à écrire des albums et à tourner, j’ai revu certains de ces étudiants en art. Les uns sont devenus promoteurs ou bien travaillent pour des labels ou des grands groupes, d’autres ont ouvert des cafés. C’est marrant de voir que quelque chose qui a commencé si petit et innocent, fait pour le plaisir et l’expérience, pas pour l’argent, est devenu le gagne pain de toute une bande de potes qui ne se verraient pas faire autre chose. 

A Ashville, il ne faut plus lui parler de la scène musicale locale. Elle n’est plus Angel Olsen l’artiste, mais AL ou parfois Lina. Le vrai nom de cette fille à la voix d’ange est Angelina ou Angel Lynn comme l’appelaient ses parents.

Maintenant que j’ai choisi mon nom d’artiste, il est trop tard pour changer. Certains de mes amis sont mal à l’aise de m’appeler Angel, ils préfèrent AL. Quand je suis à la maison, je mène une vie très normale, je ne me maquille pas, je bouquine, je traîne avec mes amis, on va voir des films et pique-niquer au bord de la rivière ou on fait des balades en montagne. 

Angel Olsen a eu une enfance particulière. Adoptée très jeune, elle est devenue le plus jeune enfant d’une famille de huit. Avant l’interview, il nous avait été demandé de ne pas poser de questions sur l’adoption, elle ne voulait parler que de musique. Mais il suffit de lui parler de la musique qu’elle écoutait chez elle pour qu’elle ouvre les portes de son intimité..

J’aime beaucoup Connie Francis et la musique des fifties, comme les Everly Brothers, Skeeter Davis ou Roger Miller. Sinon, j’aime aussi Judy Garland, le jazz des années 30, Billie Holiday et Donny Hathaway. Mes parents étaient déjà assez âgés quand ils m’ont adoptée, il y a donc un fossé de génération entre eux et moi et pas mal d’idées assez vieux jeu. Par exemple, ils ne m’ont jamais parlé de mes règles et n’aiment pas me demander si je vais me marier et avoir des enfants, parce que pour eux ça allait de soi. Parfois j’essaie d’imaginer ma mère se laisser un peu aller. Sinon, je suis vraiment proche d’eux et je les aime beaucoup.

Ces racines musicales tournées vers le passé ont contribué à construire la personnalité particulière d’une fille qui n’écoutait pas spécialement ce n’écoutaient les autres filles de son âge.

J’étais un enfant très nostalgique. J’étais obsédée par le passé et je voulais vraiment me rapprocher de mes parents et de leur monde. J’ai passé des heures avec leurs albums de photos. J’adorais retrouver des vieux disques, feuilleter les vieux albums et regarder les photos de ma mère toute jeune. Quand il y avait des enfants, je m’amusais à voir toutes leurs expressions différentes. Je pense que si aujourd’hui je m’intéresse tellement aux photos, aux images et que j’ai réalisé les vidéos pour Intern et de Shut up Kiss Me, ça me vient de cette fascination pour les vieilles photos. 

Continuant à parler de ses parents, elle raconte spontanément une anecdote qui a dû la bouleverser.

J’ai posé beaucoup de questions à mes parents sur leur vie et leur jeunesse. J’ai fait un voyage avec eux en Pennsylvanie où mon père a grandi. Il m’a raconté alors une histoire qu’il n’avait jamais raconté avant. Il m’a parlé de sa mère qui était institutrice qui avait uniquement des fils alors qu’elle aurait voulu avoir une fille, ce qui la rendait un peu amère. C’était une femme assez dure parce qu’elle avait dû élever ses fils toute seule comme son mari était mort jeune. A la fin de l’histoire, il m’a lâché que son père avait pris le nom d’un ami mort dans un naufrage. Olsen n’était donc pas son vrai nom et pas le mien non plus. J’étais sciée d’apprendre ça. 

C’était sans doute le bon moment de l’apprendre ?

Oui, aussi parce que j’ai grandi dans un contexte inhabituel. C’était cool d’une certaine manière que mon père qui m’avait adoptée ait aussi, par son père, pris le nom d’un autre. En fait, on ne sait pas d’où on vient, on a tous des origines différentes et tout le monde se mélange, et il faut se débrouiller avec ça. Cette révélation est venue à un moment intéressant pour moi. J’avais appris à accepter mes parents plutôt que d’être dans le jugement ou agressive à propos de leurs opinions et de leurs valeurs rétrogrades. Mieux vaut apprécier le temps qu’on passe ensemble et prendre du bon temps en parlant des choses sur lesquelles on est d’accord.

Dans Sister vous parlez d’un lieu où personne ne connait la peur, pensez-vous qu’un tel lieu existe ?

Je pense qu’il existe, et je veux y aller (rires). Je pense qu’il existe parce que j’ai l’impression d’y avoir déjà été. Quand on écrit une chanson, les phrases viennent l’une après l’autre sans qu’on sache vraiment quelle est l’intention. Quand le tout est mis ensemble, cela peut vouloir dire une chose, mais si vous ne prenez qu’une phrase, elle peut signifier tout autre chose. Dans cette chanson, je parle des gens qui vivent dans l’illusion d’une relation amoureuse idéale en espérant qu’elle leur tombe dessus alors qu’ils ne savent pas comment aller vers l’autre. Quand on est vraiment proche de quelqu’un et qu’on communique de manière sincère et profonde, c’est là je crois, le moment où on n’a pas peur. 

Parfois un état d’esprit peut devenir un lieu rassurant ?

Oui souvent pour moi.