Le Batman
de Marini

Gilles Bechet -

 

Batman, le chevalier noir, justicier des mégalopoles américaines, atterrit d’un grand mouvement de cape sur la planche à dessin d’un auteur européen, Enrico Marini. Avec son diptyque The Dark Prince Charming, publié chez Dargaud, il nous donne sa version personnelle du vengeur de Gotham City.
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
La menaçante cagoules aux oreilles pointues, le costume aux muscles saillants, la cape découpée comme une dentelle de la nuit et le signe de la chauve-souris sur sa poitrine, Batman hante la culture populaire depuis près de 80 ans. Le personnage iconique est passé par les mains de centaines de dessinateurs, mais c’est la première fois que le super héros sans super pouvoirs est dessiné par un européen. Enrico Marini a abandonné le temps de deux albums les séries Le Scorpion et Les Aigles de Rome pour accomplir un rêve d’enfant. J’ai toujours adoré les comics. J’ai grandi avec Batman. Ce qui était une boutade lors d’un déjeuner avec l’éditeur français de Batman est devenu réalité. Et quand j’ai appris que DC Comics me laissait carte blanche pour écrire et dessiner un Batman, j’ai saisi ma chance. 
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
 Je suis parti d’une histoire assez simple, l’enlèvement d’un enfant. Par petites touches, j’ai en enrichi le récit pour le rendre plus complexe et pour lancer des questions dont dont certaines réponses apparaissent plutôt à la fin. J’avais aussi des scènes fortes autour desquelles j’ai construit mon histoire. C’est, par exemple, le moment où le Joker danse sous la pluie en hommage à Singing in the Rain. Cette scène tombait bien comme celle de Harley Quinn allongée sur une table couverte sushis. Ce sont des scènes marrantes qui ne rajoutent rien à l’intrigue, même si elles racontent quelque chose sur les personnages. 
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
The Dark Prince Charming raconte un affrontement intime et violent entre deux êtres que tout oppose. Mais qui ont besoin l’un de l’autre pour exister, comme le Yin et le Yang. C’est avant tout une histoire entre Batman et le Joker et j’aurais pu l’appeler The Joker, The Dark Prince Charming, ça fonctionnerait aussi. Car le Joker a aussi son côté charmant, après tout, même s’il est aussi très sombre. Il peut se monter excessif et exubérant, gai et coloré justement parce qu’en face de lui, il a quelqu’un de monolithique, qui est toujours en retenue et qui fuit la lumière. Ça fonctionne seulement comme ça. On a quelqu’un qui ne respecte aucune limite face à un justicier introverti et taciturne qui essaie de tout contrôler, de tout maîtriser et de trouver des solutions. 
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
Harley Quinn et le Joker forment un beau couple criminel haut en couleur. Avec sa minijupe abat-jour et son col fraise, la Harley Quinn de Marini est une femme-enfant qui joue à la pin-up, ou l’inverse. Capricieuse, naïve et colérique, elle est aussi prête à tout pour défendre son ricanant chéri, au point qu’on se demande qui est la plus siphonnée des deux.  Harley Quinn est aussi une psychopathe, la différence c’est qu’elle est folle amoureuse du Joker, ce qui n’est déjà pas évident. Dans mon histoire, c’est clair qu’il la considère comme sa partenaire, mais on sent très bien qu’elle est à la merci de ses sautes d’humeur, et qu’en fait, elle ne compte pas vraiment pour lui. 
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
Même s’il a toujours été influencé par les comics dans sa manière de traiter les corps et le mouvement, Marini apporte une touche personnelle à son Batman. Par son somptueux dessin en couleurs directes évidemment mais aussi par son traitement des personnages même si Batman reste pareil à lui-même, obsessionnel et monolithique. Il glisse des touches d’humour avec le personnage d’Archie, le petit clown suicidaire complètement en décalage avec l’univers des malfrats.  Ma présentation du Joker est assez ambigüe. Je ne pense pas que dans un comic américain, on aurait vu le Joker habillé en Drag Queen rencontrer Batman dans un bar.
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
Batman comme tous les grandes figures populaires a ses sites de fans, et de gardiens du temple. Les réactions à la première publication de l’histoire par épisode étaient largement positives outre Atlantique. Après, il y a ceux qui râlent par ce qu’ils ne sont pas contents du maquillage du Joker ou parce que la jupette de Harley Quinn est trop ou pas assez courte. Certains disent qu’il y a trop d’humour, que ce n’est pas assez violent. Il y a ceux qui n’ont même pas lu le tome deux et qui pensent comprendre l’histoire. Je savais parfaitement que dès qu’on touche à Batman tout le monde a un avis. Évidemment, tu es plus jugé sur le personnage du Joker que sur celui de Batman. C’est plus facile de rater le Joker que Batman qui est d’abord une présence très graphique. Il suffit de la placer dans un coin avec sa cape et son masque et c’est bon. Le Joker, lui, doit convaincre par son jeu, son attitude, par son personnage et son charisme.
Leslivres
The Dark Prince Charming, Marini, (c) Marini, Dargaud & DC
La fin du Dark Prince Charming, que l’on ne dévoilera pas, reste ouverte. En écrivant son scénario, Marini lance une nouvelle échappée narrative dans le corpus complexe de Batman fait des plusieurs centaines de personnages et de sous-histoires que chaque nouveau scénariste reprendra ou pas à son compte.  J’ai conclu mon intrigue, mais pas complètement. On peut imaginer qu’il y a une suite. On peut facilement déduire deux fins possibles avec tout ce que j’ai amené. Il y a aussi une troisième possibilité, plus originale, que je n’ai pas encore dévoilée à DC. Je ne sais pas si j’aurai le temps d’en faire un autre Batman. Si DC poursuit mon histoire avec d’autres et qu’ils respectent mon idée ce serait un solide point de départ. Sinon ce n’est pas grave. De toute façon ça leur appartient.