end header
Beverly
Beverly © Nick Drnaso / Editions Presque Lune
Beverly
Beverly © Nick Drnaso / Editions Presque Lune
Beverly
Beverly © Nick Drnaso / Editions Presque Lune

BD
DANS LES BANLIEUES OUATÉES DE NICK DRNASO

Gilles Bechet -

Dans les banlieues formatées du Midwest où tous les mecs s’appellent Vince, les garçons draguent les filles qui travaillent dans les pizzerias et les salons de kiné. Ces éternels adolescents glandent et se bourrent la gueule dans les garages. Et quand ils grandissent, ils regrettent leur jeunesse perdue et idéalisée. L’ambition n’a pas sa place dans le vocabulaire local. Si un jeune fait l’école de management, c’est pour se retrouver quelques années plus tard à trainer dans les supérettes en survêt avec une bouteille de vodka à la main.

Portrait de groupe

C’est dans ce décor, inspiré de celui où il a grandi, que le jeune auteur américain Nick Drnaso situe Beverly, un premier roman graphique très réussi nominé dans la sélection officielle du festival d’Angoulême 2018.
Les six nouvelles qui se succèdent ont été conçues comme un tout. Certaines situations et personnages reviennent dans des contextes différents pour dresser un portrait de groupe de la société américaine, de ce début de vingt et unième siècle, repliée sur elle-même et ses obsessions. Le pitch des histoires est souvent fort ténu, mais le sens de la narration et de la chute finale est déjà parfaitement maîtrisé. Dans une des histoires, on suit un couple emmener leurs deux enfants pas du tout concernés pour un pèlerinage à Cape Cod, dans l’hôtel où ils ont passé leur voyage de noces,vingt cinq ans plus tôt. Ailleurs, c’est une mère de famille qui invite sa fille à découvrir avec elle le pilote d’une série TV qu’elle peut regarder avant tout le monde si elle accepte de répondre au questionnaire joint dans une enveloppe scellée. Une autre histoire raconte une banlieue complètement bouleversée par l’enlèvement et le viol d’une jeune fille de 16 ans.

Jusqu’à l’épure

Les aplats de couleurs pastel et le fin trait qui cernent les personnages dégagent une sorte d’anesthésie douce où aucune empathie n’affleure, aucune émotion excessive ne s’exprime et aucune précipitation ne semble émerger, même dans les situations les plus critiques. Les Sal, Tyler, Cara, Charlotte ou Kyle, ressemblent à des bibendums un peu raides et vides à l’intérieur. Si le jeune auteur a voulu simplifier son trait jusqu’à l’épure, c’est pour se concentrer sur le flux du récit et sur les contradictions des personnages qui apparaissent dans les dialogues. Images et textes ne sont jamais redondants, mais se rejoignent et se renforcent. Drnaso aime ponctuer régulièrement les conversations de cases muettes comme pour figer le moment et les pensées.

Inquiétude sourde

Simplificateur pour les personnages, le dessin se fait très précis avec les décors et on sent que le dessinateur a pris un grand plaisir à restituer la géométrie des routes et pavillons de ces quartiers, surtout lors des dérives nocturnes quand on peut imaginer les violeurs et autres tueurs en série tapis dans la pénombre. Dans la dernière histoire, traversée d’une errance nocturne dans les rues anonymes de Chicago, Drnaso distille une inquiétude sourde et haletante dans une longue séquence sans dialogue.
Le ton détaché qu’affectent les personnages contraste avec les petits secrets, les mensonges et les fantasmes qu’ils dissimulent et les épreuves parfois bien glauques qu’ils traversent. Si le trait est cruel, il s’accompagne aussi d’une grande tendresse vis -à-vis des personnages qui ne sont jamais moqués, ni pris de haut. Mais à hauteur d’ homme.

 

Beverly, Nick Drnaso, Presque Lune Editions, 136 pages couleur, 22 €

Disponible au BAZAR e-SHOP