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Breut
Françoiz Breut, Flux Flou de la Foule ©62 TV records, photo Simon Vanrie

CD Françoiz Breut embrase le flou

Gilles Bechet -

 

Avec ses chansons à tiroirs, rêveuses et mutines, la chanteuse musicienne et plasticienne réussit un album mélodique et organique, portrait flou de notre présent

 

 

 

C’est une des plus belles voix de la chanson française libre, électrique et buissonnière. Discrètement, elle aligne ses albums comme autant de petites perles. Près de vingt-cinq ans après son premier recueil de chansons aux sons minimalistes, la voici avec sa septième échappée, Flux Flou de la Foule, un album plus ample et resserré, électro et organique, enregistré avec Marc Mélia, Roméo Poirier et François Schulz, les musiciens qui l’accompagnent sur scène.

Comme dans un rêve éveillé

Ce sont des chansons en prise directe avec le monde contemporain fourtraque, paradoxal et effrayant parfois. Françoiz le regarde comme dans un rêve éveillé plein de stupeur, de mélancolie et de tendresse. La séduction vient d’abord cette voix lumineuse, à la fois lascive et détachée. Elle pourrait paraître affectée parce qu’elle ne cherche pas les feux d’artifices de l’épate et semble toujours contrôlée alors qu’elle est se laisse délicatement porter par la mélodie comme par une légère brise. La musique qui privilégie les claviers et les percussions évolue dans un registre alliant l’efficacité pop à l’inventivité. C’est peut-être parce qu’elle est aussi illustratrice que Françoiz Breut a dessiné chaque chanson comme une ballade sonique truffée de petits cailloux colorés.

Plongée dans le flux flou

L’album s’ouvre avec les battements de la route et les glissements mécaniques de Juste de passage, une chanson qui s’inspire du décès tragique d’une jeune migrante sur une de nos autoroutes pour une fusion impressionniste entre rythmes et bitumes, nos envies de libertés et la brièveté de notre passage ici bas.
Languide et sensuelle, Mes péchés s’accumulent allie la guitare et les étreintes pour une ballade caniculaire à la Nancy Sinatra sur les membres qui crépitent et font oublier tout le reste.
En duo avec Jahwar, Une fissure jette un oeil curieux les lézardes de nos réacteurs nucléaires qui, à l’image d’autres lézardes, renvoient à une interrogation désabusée sur notre incapacité à décider. Dérive urbaine dans la ville cannibale est une plongée dans le flux flou de la foule où on danse la samba dans un paysage post-apocalyptique. Pas d’inquiétude, les inquiétudes sont balayées par un synthé sautillant et goguenard aux échos sixties. Toujours sur un rythme enlevé, Vicky qui riait, galope à perdre haleine, dopé au rire cristallin et mutin d’une fillette. Plus elle riait, plus nous riions.

On est envie

Avec Métamorphose, on ralentit le tempo pour passer dans une autre dimension. On quitte petit à petit le réel sur le ton de la conversation pour croiser un mille pattes qui ricane, dériver en apesanteur dans brasier édenique. Dans Comme des lapons, aux l’ailleurs prend les allures d’un paysage enneigé au bout du monde. Le fantôme du lac dérive sous la surface d’un lac au clair de lune se laissant langoureusement balloter sous le ressac depuis que son âme l’a quitté. Mon dedans vs mon dehors achève l’album par une plongée introspective. Une créature étrangère l’observe dans le miroir. Rien n’a changé dans ses artères. Tout est flou. On est en vie. On est envie. Vivement le retour à la scène.

 

Flux Flou de la Foule, Françoiz Breut, CD Trente Février, 11 titres, 43 minutes