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Burgalat
Bertrand Burgalat, Rêve capital (c) Bertrand Burgalat / Tricatel
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Tricatel Universalis (c) Maison Cocorico
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Bertrand Burgalat, photo Serge Leblon

CD
La magie Burgalat

Gilles Bechet -

 

Bertrand Burgalat nous revient avec Rêve Capital, un nouvel album sophistiqué et lumineux qui est aussi un portrait tendre et désabusé de notre époque paradoxale.

 

 

 

Heureusement qu’en cette époque de streaming et de téléchargement, on ne regarde plus trop les pochettes d’album, parce que le minimalisme solarisé de celle de Rêve capital ne nous prépare pas à la magnificence, à la somptuosité foisonnante et à la légèreté des chansons qu’il contient. Avec le talent de l’orfèvre de studio qu’il est, Bertrand Burgalat a composé son dernier album comme une pièce montée riche, mais jamais écoeurante.

Faille temporelle

Les nappes d’instrumentales sont dressées pour un festin sonore. Un rythme disco, des envolées de violons qui invitent au voyage, une basse chaude comme un chat qui danse, des choeurs et des coeurs qui badabadapent avec légèreté, des vagues de synthés qui vont et qui viennent comme une mer qui avance et se retire.
On n’est pas dans un frileux refuge rétro ou dans le pastiche comme pourrait le laisser penser une écoute distraite.Il ne s’agit pas de bandes inédites échappées d’un studio où se seraient rencontrés François de Roubaix, Jean-Claude Vannier et Brian Wilson, mais bien d’une création d’aujourd’hui issue d’une faille temporelle dystopique où le passé rencontre le futur. Vous êtes ici, c’est votre appli qui le dit, nous dit-il dans cette belle chanson sur l’ubiquité numérique. Car dans ses textes, c’est le monde contemporain qui surgit par flashes, des machines parlantes, des jeux électriques, KFC, Décathlon ou Boris Johnson.

Elégance et nonchalance

Pour ses textes, quand il ne les écrit pas lui-même, Burgalat fait appel à différents auteurs, les fidèles Blandine Rinkel et Laurent Chalumeau, puis d’autres, des amis d’enfance ou des textes repérés sur instagram comme celui de La chanson européenne. A coup de petites phrases ciselées comme des haïkus, il évoque ces paysages qu’on voit défiler trop vite derrière la vitre d’un train, la ville vue du 33e étage où les hommes ne sont que des fourmis et ces amis disparus qu’on retrouvera un jour. Dans la chanson titre, il se met en scène avec auto-dérision, il évoque un séducteur dans le monde metoo. Burgalat n’est pas un grand chanteur à effets, ce qui le rend encore plus touchant. En équilibre entre le chanté et parlé, il se glisse dans la musique avec élégance et nonchalance. A l’entame de l’album, sa voix nous arrive comme celle d’un animateur radio d’émission de nuit ou comme un pilote qui nous souhaite bon voyage sur son long courrier. En une heure d’écoute on est transporté pour un voyage des petites heures du matin aux couvertures de la nuit. Et en conclusion, il nous chante J’ai adoré cette journée. « Et maintenant
il faut rentrer. Chacun chez soi chacun son toi. J’ai adoré cette journée. Où tout semblait envisageable. »

 

Bertrand Burgalat, Rêve capital, CD Tricatel, 18 titres, 62 min

 

Avant tout fan de musique

Bertrand Burgalat, c’est aussi Tricatel, le label indépendant qu’il a fondé en 1995. Une aventure musicale née avec l’album de Valérie Lemercier et qui s’est prolongée avec plus d’une cinquantaine de titres, sans compter les EP et les maxis. Tricatel Universalis, un livre amoureux vient célébrer deux décennies d’aventure musicale et humaine. Chanson française, rock, jazz, musique de film, Tricatel aborde tous les genres comme un gourmet avec des artistes comme Michel Houellebecq, A.S Dragon, Chassol ou Catastrophe. Musicien, producteur et avant tout fan de musique, Burgalat a commencé sa carrière à quatorze ans en nœud pap, derrière un piano électrique dans un orchestre d’hôtel du côté de Luchon avec son père et des papys musiciens. Il a monté son label par nécessité et l’a poursuivi dans cette joie constante et un don d’émerveillement quasi enfantin d’aimer la musique et d’en faire.
Au fil des souvenirs, des témoignages, des vues des coulisses, des rencontres artistiques et musicales, mais aussi des critiques assassines parues dans la presse d’époque, ce livre porte son regard décalé sur la musique de ces trente dernières années.

 

Tricatel universalis, Editions Maison cocorico, 240 pages, 27 €

 

Bertrand Burgalat nous livre encore quelques clés pour décoder cet album foisonnant et touchant.

 

Dans cet album, l’enfance est évoquée ça et là, or vous projetez une image très adulte, Où se trouve la part d’enfant en vous ?
D’abord, je me méfie beaucoup des adultes qui cultivent un espèce d’amour régressif pour un état idéalisé de l’enfance. Mais en même temps, je pense qu’avec le temps, on se rapproche parfois d’une forme de candeur qu’on développe dans l’enfance. Finalement, un album comme celui-ci c’est une tentative d’aller au plus près de ce qu’on peut ressentir vraiment profondément et qui est peut être ce qu’on ressentait lorsqu’on était enfant ou alors ce qu’on peut ressentir dans son sommeil et dans ses rêves.

 

Vous travaillez votre musique à l’atmosphère, par touches et par couches, comme un peintre utilise ses couleurs ?
Je ne peux pas dessiner, je ne peux pas peindre et je crois qu’un disque a pour vocation de nous permettre d’exprimer ce qu’on n’arrive pas à dire autrement, que ce soit par des mots, par des images. Si ce que je veux dire dans une chanson, je peux le mettre dans une lettre, dans un tweet ou en en parlant, je n’ai pas besoin d’en faire une chanson. Souvent on est amoureux de quelqu’un et on ne sait pas trop le dire, on va dire : « Tiens écoute cette chanson ». Les chansons sont des messages, quand on les crée mais aussi quand on les écoute.


Qu’est-ce qu’une chanson réussie ?

C’est une chanson qui arrive à dire des choses subtiles de façon très fluide sans montrer l’effort qu’il y a derrière. On ne se dit pas waouh tu as entendu cette suite d’accords, on s’en fout complètement. Je trouve que ce qui est très galvanisant quand on entend une chanson à la radio ou dans un lieu public, c’est qu’il y a une émotion qui passe et en même temps on peut se dit que c’est beau et génial. Quand j’entends une musique que je ne connais pas au supermarché, il m’arrive souvent de faire shazam. Une chanson sur laquelle on fait shazam est une chanson réussie.

 

Un titre qui résume bien les thèmes abordés dans l’album, c’est Spectacle du monde. C’est à la fois onirique et très concret. On a l’impression que vous êtes à la fois en retrait et en empathie avec le monde.
Déjà L’enfant sur la banquette arrière, sur l’album précédent, est une chanson, qui ne résume peut-être pas l’album mais dont le titre contient beaucoup de choses. Il s’en dégage tellement d’images que les développer reviendrait à alourdir la chanson. Il y avait dans cette chanson, des mots comme verrine et voiturier, deux mots qui disaient toute une époque, un peu bling bling, un peu frime. C’est un peu la même chose avec Spectacle du monde. Des phrases très brèves se suivent un peu comme des haïkus, avec ces images, ces flashes très brefs. Je n’ai pas envie de les développer parce qu’il me semble que chaque phrase se suffit. Elle est à la fois très précise et suffisamment ouverte pour que chacun puisse en faire son propre film.

 

Votre approche du monde qui nous entoure est parfois dure sans être cynique ?
Quand on parle de notre époque, on a souvent tendance à rouspéter, souvent à raison. Je suis très parcimonieux dans les paroles parce que je ne veux pas être un donneur de leçons. Je ne veux pas me moquer, même si les mots sont tranchants et parlent de choses qui sont souvent compliquées. Je cherche à le faire avec une forme d’humour mais sans me moquer des autres. Dieu sait si j’ai tendance à être négatif, mais s’il y a de l’ironie, je préfère qu’elle soit tournée vers moi plutôt que vers les autres. C’est pour ça que dans L’Homme idéal, je ne me moque de personne, sinon de moi. C’est un humour très tendre, très gentil. Au fond, tout ce qu’on essaie de faire dans la vie est assez maladroit, et en général très touchant. On essaie tous de faire de notre mieux dans notre existence. Une chanson, je trouve qu’elle doit plutôt s’attacher à ça et avec un maximum de gentillesse, même si l’époque est très dure.