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DENIS MEYERS
INTERVIEW LONG FORMAT

Gilles Bechet -

Au moment où nous avons lancé cette conversation, Denis Meyers travaillait sur les fresques qui se déploient dans la cour de la Caserne de Pompiers Place du Jeu de Balles à Bruxelles. Armé d’une seule bombe de peinture, il couvrait les panneaux blancs de mots pêchés chez les passants ou auprès des commerçants et galeristes environnants. Un gars sortant d’un des immeubles suggère à l’artiste d’intégrer le personnage du manga One Punch Man dans sa fresque. C’est le genre de truc qui égaie ma journée. Voir des gens avec qui je n’aurais pas spécialement discuté et qui viennent poser des questions parce qu’ils sont intéressés par ce que je fais. Si je travaille dans l’espace public, c’est pour susciter des réflexions, des partages et des rencontres.

 

Le projet Remember Souvenir à Solvay fascine parce que, dès le début, il était voué à disparaître. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer là-dedans et à y rester 18 mois ? Était-ce un défi ?
Pas uniquement un défi, c’est aussi le plaisir. Je me sens plus proche de l’artisan que de l’artiste. J’aime travailler, j’aime peindre, exercer son métier et faire évoluer une technique au jour le jour. C’est le plaisir immédiat de faire en profitant d’un bâtiment qui est en train de disparaître.

 

On peut y voir quelque chose d’assez romantique ?
Il y a quelque chose de ça. Le projet a été lié à une séparation. Une partie des messages qui apparaissent dans le projet sont liés à l’amour que je porte à mes enfants et aux personnes qui m’entourent.

 

Je pense aussi à la fascination des ruines et de la disparition qui caractérise les romantiques
Là, je m’y retrouve aussi tout à fait. C’est une manière pour moi de donner un dernier souffle à un bâtiment qui est en train de disparaître et où j’ai eu la chance de pouvoir travailler pendant 17 mois. C’est ce qui me donne envie de continuer à y peindre jusqu’à ce qu’il ait complètement disparu.

 

Ce projet a-t-il changé votre approche graphique et artistique ?
Oui principalement parce qu’il m’a permis de montrer un travail illustratif ou typographique que je pratiquais déjà depuis très longtemps sans le mettre en avant. Remember Souvenir a été une manière pour moi d’assumer et de développer cette partie de mon travail.

 

Ce projet était largement improvisé, est-ce votre manière de fonctionner ou était-ce influencé par les lieux ?
Ça fait vraiment partie de ma manière de travailler. J’ai besoin de me lâcher et d’être libre dans ce que je fais en fonction de mon humeur, du temps qu’il fait, de ce que j’ai fait la veille, de ce que j’ai envie de faire le jour même, ou de ce que je pourrais faire le lendemain.

 

Est-ce que cela a aussi changé votre manière de pratiquer les carnets ?
Je pense que oui. J’avais déjà une certaine liberté dans mes carnets. Depuis, c’est encore plus prononcé. J’ai peint dans ce bâtiment sans me soucier du résultat, sans me soucier de ce que les gens allaient dire ou penser et ça m’a permis de travailler dans de chouettes conditions. Chose que tous les artistes ne peuvent pas se permettre sur une si longue période parce que17 mois, c’est quand même long.

 

L’acte de dessiner, de peindre, c’est catharsique ?
Ça ne l’était pas. Ça l’est devenu. Depuis tout petit, j’ai toujours eu envie de garder une trace, de garder un souvenir, de ne pas oublier les choses et j’ai toujours eu aussi l’envie d’apprendre et d’évoluer tous les jours. Le travail quotidien de ce carnet se lie à différentes choses. Il y a l’idée d’évoluer, de s’améliorer, et parfois très simplement de faire sans spécifiquement viser un résultat. A cela s’ajoute l’idée de ne pas oublier.. Dans Remember Souvenir, il y a, en plus, un travail thérapeutique catharsique et pour moi Solvay est devenu comme un énorme carnet. Ce que j’ai peint sur les murs ne se limitait pas à une retranscription de ce qui figurait dans mes carnets, c’était aussi de nouvelles pages blanches, en très grand format, qui s’offraient à moi.

 

Ça a été aussi une découverte pour vous ?
Oui. De beaucoup de choses. Le travail dans l’espace, le lettrage à la bombe, le mélange des médiums, utiliser l’extincteur comme un pinceau, tout ça c’était des pratiques que j’avais déjà abordées mais jamais à cette taille-là. Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler sur un parcours en pensant à l’intervention de la lumière, comme une scénographie où on dose ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas, les choses qu’on cache à moitié et celles qu’on montre de manière très frontale, très directe. Pour moi, ça a été un apprentissage à plein de niveaux et ça va certainement influencer le reste de ma carrière artistique.

 

Pensez-vous fondamentalement que l’art, votre art, a une influence sur les gens ?
Je ne le pensais pas et encore une fois grâce à Remember Souvenir, j’ai découvert que des gens pouvaient en être profondément marqués. J’ai reçu des lettres hallucinantes de gens qui me disaient que suite à la visite de l’expo à Solvay, ils n’avaient pas pu parler, ni sortir un seul mot pendant trois jours. Certains me disaient qu’ils avaient recontacté des personnes qu’ils n’avaient plus vues depuis 15 ans, d’autres qu’ils étaient partis en voyage, et d’autres encore qu’ils avaient changé de boulot.

 

C’est une grosse responsabilité, ça fait peur ?
Non ça ne fait pas peur. C’est même plutôt encourageant. C’est quelque chose qui m’a tenu très fort à cœur, même si je n’y suis pas toujours arrivé dans le passé. Je ne suis pas quelqu’un de revendicateur, je ne suis pas dans la dénonciation. On peut me le reprocher, mais j’ai toujours essayé de faire passer un sentiment, un plaisir, un sourire ou une émotion. Et là, je me suis rendu compte que je pouvais moduler ce que je faisais passer soit en brouillant l’écriture et la lisibilité, soit en ne montrant pas ce que je faisais, parce que sur l’heure et demie de parcours, il y a plein de parties que les gens n’ont pas vues. Ça a toujours été très important pour moi de faire passer une émotion et de susciter une réaction. Là, je me suis rendu compte que j’en étais capable, que les gens étaient réceptifs. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur et qui va continuer à imprégner mon travail. J’essaie de le faire intelligemment avec des messages et des valeurs qui me semblent importantes.

 

Vous êtes un artiste souvent sollicité pour des publicités ou des communications de marques, comment cela s’intègre-t-il avec vos valeurs ?
Beaucoup me reprochent une certaine connivence avec des sociétés, avec des marques et avec des projets qui sont parfois politiques, parfois apolitiques. J’ai toujours travaillé avec des marques, c’est indispensable si je veux continuer à vivre de mon art. C’est une question de principes. Je l’ai toujours fait et je n’ai pas l’impression de vendre mon âme au diable. De tout temps, il y a eu un lien entre l’argent, le pouvoir et l’art. Les artistes ont toujours travaillé pour des commanditaires. Avant, l’église était une force qui développait des messages et qui faisait vivre et penser les gens et la société. Maintenant, l’église s’est un peu mise de coté, et le pouvoir réside bien plus dans les sociétés privées ou les pouvoirs politiques. La nouvelle religion, c’est les pubs, ce sont les marques. Ça ne me pose pas de problème de travailler avec eux à partir du moment où ils respectent mon travail et mon point de vue et me permettent de faire ce que j’ai envie de faire.

 

Vous avez refusé des propositions commerciales ?
Plein de fois. Ça fait 17 mois que je refuse des propositions. J’ai maintenant commencé à en accepter quelques unes parce que 17 mois sans gagner un cent, c’est compliqué. Je suis papa de deux enfants, j’ai les pieds bien sur terre, j’ai envie de pouvoir payer mon matériel, de pouvoir éduquer, loger et nourrir mes enfants. J’ai envie de pouvoir travailler et me permettre de travailler bénévolement pour des associations caritatives, mais pour ça il faut que je puisse gagner ma vie sur le côté. Vendre de l’art, c’est bien mais ce n’est pas ça qui remplit les caisses.

 

Quels sont vos projets dans les mois qui viennent ?
Plusieurs choses se préparent même si rien n’est établi définitivement. Je pars bientôt en Argentine pour deux semaines avec l’équipe du projet Truc Troc et j’ai un projet de mur à New York avec un ami belge qui essaie de promouvoir le design belge aux Etats-Unis. J’ai un projet au Mexique, un autre à l’île Maurice appellé Maurice Dime qui essaie de mettre en avant le patrimoine de l’île Maurice à l’occasion des 50 ans de l’indépendance. Plus près de nous, je vais retravailler à La Roche en Ardenne au Bam festival où je vais peindre la base d’un pont. Ce sera une zone pas très accessible, cachée dans la nature mais qui sera visible par tous ceux qui pêchent, qui font du kayak, qui utilisent l’eau comme moyen de découverte.

 

DENIS MEYERS
R E B I R T H
21.04.2017 > 21.05.2017

 

Macadam Gallery

58 Place du jeu de Balle, 1000 Bruxelles
Du vendredi au dimanche de 11h à 17h
ou sur rendez-vous

 

www.macadamgallery.com

 

A l’issue de l’exposition, les panneaux seront vendus aux enchères au profit de la Fondation Laly.