end header
ABC
Cinema ABC (c) CFC Editions
ABC
Cinema ABC (c) Fonds ABC / Nova
ABC
Cinema ABC (c) Fonds ABC / Nova

EXPO
L’ABC des pulsions secrètes

Gilles Bechet -

Un livre et une exposition font revivre le monde secret de l’ABC, le dernier cinéma de Bruxelles à avoir projeté des films pornographiques en pellicule 35mm.

 

C’était le dernier cinéma de Bruxelles à avoir projeté des films pornographiques en pellicule 35mm. Un livre publié aux éditions CFC et une exposition au Mima font revivre une époque révolue et le monde secret et marginal de l’ABC

 

ABC du voyeurisme

C’était un temple caché au centre de Bruxelles. Un temple du voyeurisme, un réservoir à fantasmes, un temple de la solitude partagée. Le rendez-vous d’une faune bigarrée et marginale. Un temple dont l’autel était un écran de cinéma où étaient projetées des images à la narration parfois approximative pleine de têtes, de queues et de chattes. Pendant 40 ans, le cinéma ABC, situé boulevard Adolphe Max, a été le rendez-vous des amateurs de films érotiques et pornographiques. Un monde secret que dévoilaient partiellement les grandes affiches peintes avec leurs filles lascives habillées de paillettes et des photos masquées d’étoiles et de bizarres assemblages de tape de couleur. Des images de tentation pour attirer le chaland en jouant avec la limites de la censure. Une des particularités de l’ABC a été de proposer des spectacles de striptease, avec des filles « nues et vivantes », comme l’annonçaient les bandeaux colorés. C’est sans doute ce qui a permis à ce cinéma de rester en activité jusqu’à sa fermeture définitive en juillet 2013.

 

Séances rituelles

Fondateur et exploitant de l’ABC et de ses déclinaisons à Liège et Ostende, George Scott, défendeur du porno vintage, a entassé dans ses bureaux qui occupaient tout l’immeuble, un invraisemblable fatras de bobines de film souvent dépareillées, de photos, d’affiches et de dossiers de presse. Toute cette mémoire du cinéma d’exploitation a pu être in extremis sauvée de l’oubli par l’équipe du cinéma Nova qui a confié les films complets aux bons soins de la cinémathèque.
A l’ABC, les séances de cinéma étaient des véritables rituels avec ses vestales, ses accessoires, son ambiance, ses habitués et ses égarés comme l’évoquent les nombreux témoignages recueillis par l’auteur. Cinéphiles, projectionnistes, affichistes et stripteaseuses se succèdent pour évoquer cette époque révolue au fil des pages richement illustrées par des photos, des pavés de presse et les bandeaux publicitaires.

 

Au Mima, une exposition restitue cette ambiance dans une étonnante installation immersive de Gogolplex et propose de nombreux documents, photos d’archives, bandeaux de promotion, affiches peintes et imprimées.
Malheureusement pour certains, le slip du spectacle de Marguerite ne peut plus être obtenu à la caisse. Même les meilleures choses ont une fin.

 

Interview de Jimmy Pantera

Est-ce un livre nostalgique ?

Non pas du tout. J’estime que l’histoire suit inexorablement son cours et que les technologies changent et évoluent. Le format 35 mm est en voie de disparition pure et simple parce que les modes de consommation de l’image ont changé. Il y a toute une série de facteurs qui ont entraîné la disparition de l’ABC. Il était condamné, c’est un miracle qu’il ait tenu jusqu’en 2013. Alors que la plupart des cinémas indépendants bruxellois ont commencé à disparaitre dès les années 50, l’ABC a toujours réussi à se maintenir. Plutôt qu’un livre tourné vers la nostalgie, c’est un livre de témoignages d’un monde assez secret qu’on connaît peu. Ce que j’ai vraiment voulu faire, c’est rassembler ces histoires pour qu’il en reste une trace, pour ne pas les laisser disparaitre comme ont disparu d’autres histoires, d’autres légendes.

 

On était aussi dans une époque très différente de la nôtre, bien avant la révolution MeToo où la sexualité et les fantasmes de la pornographie étaient uniquement définis par le regard mâle.
Bien sûr, surtout qu’aujourd’hui, le porno est devenu une espèce de mot-valise qui rassemble beaucoup de choses différentes alors que c’est une culture à part entière avec ses courants, ses particularités et aussi toute son histoire. Dans le livre, je m’attarde principalement autour de ce qu’on appelle l’âge d’or dans les années 70. Un moment très particulier que l’ABC a réussi à perpétuer par la magie du lieu, par son décorum et par ses vieilles affiches. Ce lieu était aussi dans un état de déglingue assez avancé, ce qui m’a amené à sous-titrer le livre, la nécropole du porno.

 

L’ABC était un microcosme très particulier ?
C’était une petite salle avec quelques dizaines de sièges. Le public était surtout constitué d’habitués. Une des strip-teaseuses m’a d’ailleurs dit qu’elle avait l’impression que les films avaient vieilli en même temps que les spectateurs, que c’était des vieux films et des vieux spectateurs aussi. Il y avait vraiment toute une faune typique au lieu. C’était comme un biotope très particulier qui s’était développé dans cette salle. Il y avait des curieux, mais aussi des touristes, notamment des chinois qui venaient de l’hôtel juste en face, il y avait des gens de passage, mais la grande majorité du public venait là pour quelque chose de précis, soit pour des pratiques sexuelles, soit pour les filles qui attiraient beaucoup d’habitués. Il y avait aussi les cinéphiles, pas très nombreux, qui venaient pour voir telle ou telle version de tel ou tel film.

 

L’ABC était fréquenté exclusivement par des hommes, le livre s’adresse-t-il uniquement aux hommes ?
Non je ne pense pas que ce livre s’adresse uniquement aux hommes, loin de là, parce que j’y ai aussi interviewé quelques strip-teaseuses. Elles parlent très bien de cette expérience particulière, de leur rapport à la féminité, du regard que les hommes portaient sur elles, ainsi que de la construction de leur image et de leur individualité dans ce contexte précis. Si la salle était fréquentée par un public masculin, c’est parce que on ne laissait pas entrer les femmes seules et cela pour leur propre sécurité. Des femmes fréquentaient malgré tout la salle, soit parce qu’elles étaient prostituées, soit parce qu’elles venaient en couple, et qu’alors l’entrée leur était permise. On avait ainsi différents profils. Certaines venaient par curiosité, d’autres pour des pratiques sexuelles. Mais généralement les femmes étaient effectivement assez rares.

 

L’ABC avait-il une particularité belge ou bruxelloise ?
Il y en avait plusieurs. La première était de montrer des spectacles de strip-tease en live. Dans toutes les salles ABC de Scott à Liège, comme à Ostende, que à l’ABC et au Paris à Bruxelles, il y avait des shows de strip-tease. Les autres salles de cinéma porno montraient des films, mais pas de spectacle. La deuxième particularité, c’est que Scott était vraiment un cinéphile. Il n’était pas motivé par l’argent. Il avait une vision bien à lui de ce que devait être son métier de distributeur et propriétaire de salle. C’était un vrai professionnel de cinéma d’exploitation qui avait développé une expertise et des connaissances de par son réseau. Il se rendait fréquemment à New York. Il était en lien avec toutes les boites de la 42 ème rue. Il avait des contrats d’exclusivité avec DistribPix et avec les productions de Radley Metzger. Comparé à ses concurrents c’était un professionnel dont le regard très acéré se reflétait dans la programmation de films parfois très rares. J’ai vraiment fait beaucoup de recherches là-dessus et j’ai pu constater que l’ABC a projeté des diamants noirs de cinémathèque, c’est pourquoi, j’ai parfois utilisé l’expression de cinémathèque interdite. C’était comme un anti musée du cinéma.

 

Cinema ABC, la nécropole du porno, Jimmy Pantera, CFC Editions, 304 pages couleur, 35 €
The ABC of Porn Cinema
,
jusqu’au 9 janvier 2022
Mima Museum
39-41 quai du Hainaut
1080 Bruxelles
Ouvert du mercredi au vendredi de 10 à18h
le samedi et dimanche de 11 à 19h
www.mimamuseum.eu