Au paradis
de LaChapelle

Gilles Bechet -

 

Adam and Eve, 2017 Hand Painted Negative-Pigment Print © David LaChapelle
On le connaissait comme un témoin des excès narcissiques de la jet set, mais le photographe américain, David LaChapelle en veut plus. Il cherche son paradis et nous le montre dans la magnifique rétrospective que propose le BAM à Mons.
After the Deluge - Museum, 2007 Chromogenic Print © David LaChapelle
Et si à force d’ignorer les avertissements que nous envoie la planète, c’est le déluge qui nous attend pour nous emporter tous. Que restera-t-il de nos musées ? Le déluge ne s’abat pas vraiment dans une logique de punition, mais plutôt dans celle d’un grand nettoyage. Dans cette image saisissante, il semble vouloir épargner l’art classique, celui qui a inspiré sa série After the Deluge. Un art dont il se revendique même si dans une autre photo de la série, il montre un musée d’art contemporain où ses œuvres figurent aux côtés de celles de Jef Koons, Damien Hirst et Richard Prince. Un art devenu marchandise susceptible d’être emporté par les flots, que ce soient ceux de la bourse ou ceux du jugement divin.
The House at the End of the World, 2005 Chromogenic Print © David LaChapelle
Sans chercher la chronologie, l’exposition revient sur la première partie de la carrière de David LaChapelle, et sur les travaux de commande comme cette image extraite d’un shooting réalisé pour Vogue Italie dans les studios Universal devant les décors de la Guerre des Mondes de Spielberg. Le contraste entre les mannequins dans leurs atours glamour, leurs maquillages lisses et les petites maisons de banlieue dévastées par on ne sait quel cataclysme résonne comme un avertissement pour les apprentis-sorciers du gaspillage énergétique. Avec son sens de l’image, LaChapelle glisse dans cette scène d’apocalypse une note presque burlesque avec ce duo d’oreillers qui collent à la chevelure figé comme les stigmates textiles de l’inévitable explosion.
Last Supper, 2003 Chromogenic Print © David LaChapelle
C’est vers 18 ans que LaChapelle a réalisé ses premiers travaux de commande, repéré par Andy Wahrol qui lui a demandé de collaborer à son magazine Interview. Les comparaisons ne manquent pas entre le photographe des stars et de la mode et le maître de la Factory. Tous deux ont été attirés par les mondanités et par l’iconographie chrétienne. Comme Warhol, il propose sa propre version de La Dernière Cène. Ici, le décor se fait plus modeste, son caractère exigu ne permet pas la frontalité de la toile de de Vinci. Les murs poisseux d’humidité ne sont pas souvent baignés d’une telle lumière divine. Les apôtres, mauvais garçons des rues, ont mis la sourdine sur leurs rivalités pour se tourner vers Lui. Leur geste de mains reprennent exactement ceux de chacun des apôtres. LaChapelle a aussi pris la liberté d’inviter Marie. On ne sait jamais. Ce n’est pas prudent pour une jeune fille de traîner dans les rues de Los Angeles si tard le soir.
Nativity, 2012 Chromogenic Print © David LaChapelle
Un monde nouveau doit bien commencer par une naissance. L’Afrique est la terre de l’Éden retrouvé. On y célèbre en plein désert la naissance de Jésus dans une communion entre l’homme, la nature et les animaux. La figure chrétienne de Marie se mêle à celle d’un joyeux carnaval païen où Joseph troque son diadème pour une coiffure Rasta. Ici LaChapelle s’affranchit des références trop évidentes pour jouer avec la lumière, les couleurs et les corps. Dans un espace réduit à une volée de feuilles fantomatiques et à un arbre rachitique, c’est la divinisation des corps qui est en jeu. Comme ceux des top models, ils sont luisants et brillants comme des carrosseries et annonciateurs du paradis à venir.
Gas Shell, 2012 Chromogenic Print © David LaChapelle
En 2006, le photographe quitte l’univers bling bling de la société du spectacle et de la mode pour s’installer dans une ferme biologique à Hawaï. C’est dans les forêts pluviales de Maui qu’il commence la série des Gas Stations. Des stations service, symboles de la culture américaine et de ses engins assoiffés de pétrole, parachutées dans une jungle luxuriante comme des vaisseaux venu d’une autre galaxie. Dans un halo irréel, elles semblent attendre on ne sait qui, on ne sait quoi. Il travaille avec des maquettes en carton éclairées de l’intérieur et posées dans un décor naturel. L’effet de réel prend le pas sur le faux. Surréaliste et fantastique, l’apparition nous plonge dans un futur parallèle où les pompes distribuent un élixir d’éternelle jeunesse.
Secret Passage, 2014 Chromogenic Print © David LaChapelle
Loin de la superficialité de son ancien univers de référence où le matérialisme est une religion, il se laisse gagner par la spiritualité cosmogonique qui baigne certains coins de nature de l’île du Pacifique. Sur ces images, il crée un monde qui n’existe pas, comme dans ses photos les plus baroques de la société du spectacle. Mais la critique acerbe a fait place à une béatitude qui n’oublie pas les paillettes. On peut désormais vivre nu dans la forêt, les peaux prennent de belles couleurs roses ou bleutées, peut-être la couleur des émotions. De la lumière qui coule au bout des doigts, on dessine des arabesques dans l’air parfumé.
Infospratiques
Self Portrait as a House, 2013 Chromogenic Print © David LaChapelle
L’exposition se termine par un grand autoportrait. Sauf qu’au lieu de poser devant l’objectif, le photographe y place une maison ouverte à tous les regards. Dans chacune des pièces au couleurs vives, des hommes et des femmes nus sont plongés dans des activités bien absorbantes. LaChapelle a conçu cette image comme un autoportrait freudien où il met en scène ses excès et ses addictions, le débarras où il cache ses secrets. On peut y voir un adieu à sa vie ancienne. De sa confession, il fait un spectacle où il joue avec les codes qui ont fait sa notoriété. Voila celui que j’étais, que je suis encore, et que je veux amender. Mais quoi qu’il pense, il le fait toujours en image. Fidèle à sa méthode, il ne se facilite pas la vie avec un logiciel informatique. Il préfère l’artisanat et la chaleur des spots. Des modèles ont posé dans un décor grandeur nature construit en studio pour ressembler à une maison de poupée. Et c’est à notre regard de jouer.