À la Maison des arts
neuf artistes sur le fil

Gilles Bechet -

Pour sa nouvelle exposition Fil, la Maison des arts accueille neuf artistes qui explorent et renouvellent le textile sous toutes ses formes. Neuf créations qui tissent les émotions, les matières et les couleurs dans un cadre magique.
FIL, Chiharu Shiota, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Il y a ce kimono blanc qui semble flotter dans la douce pénombre. Une silhouette fantomatique surgie du passé, d’un autre temps. Le doute qui se distille comme un robinet qui goutte. Cette obscurité qui emplit la pièce lambrissée ne serait-elle pas une émanation de ce fil noir qui tisse son inextricable écheveau autour de la blanche étoffe ? Pour la mettre à distance et la sublimer, pour la protéger autant que pour la maintenir prisonnière. Avec la patience d’une araignée, Chiharu Shiota réalise des œuvres mystérieuses et séduisantes. Derrière leur voile de fil noir, elles tendent un envoûtant piège pour le regard.
FIL, Hélène de Gottal, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Etrange étreinte que celle entre la pierre et le fil. La brutalité et le tranchant du minéral contre la souplesse et la légèreté du végétal. Un fil pour montrer le chemin, tracer la voie, tisser des liens, pour retenir et soutenir. Une pierre comme un fragment de temps, une brisure d’éternité à taille humaine. Pourquoi naître esclave ? demande Hélène de Gottal dans son installation qui pose ses fragments de pierre, de fil et de dentelle, en échos dispersés autour d’un buste impérial de Jean-Baptiste Carpeaux. A cette étrange question, l’artiste répond par un rébus de petits riens inextricablement liés les uns aux autres. Comme le présent est lié au passé.
FIL, Elise Peroi, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Dans le salon avec vue sur le jardin, Elise Peroi a installé ses tapisseries. Un paysage de soie et de lin qui se dessine par transparence et se dédouble comme les images d’une mémoire qui s’ajuste. On s’approche avec prudence et ravissement, en distinguant les frondaisons d’un sous-bois, un tapis de végétation qui recouvre les graines de ce qui va pousser. On peut tourner autour ou glisser sous son arc comme sous une charmille protectrice. De plus près, le paysage se dissout dans la matière textile. Les fils de lin qui dégringolent comme des lianes aèrent la tapisserie et la font respirer dans un frémissement d’inachevé et de vie.
FIL, Erwan Maheo, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Dans la bibliothèque, Erwan Maheo a posé ses étendards tendus sur des structures métalliques mobiles. Les collages de pièces de tissu colorés sont comme les pages d’un carnet de notes. Une architecture de la pensée faite de mots, de couleurs et de chiffres. Une table de matières de la mémoire que l’on visite de haut en bas, de gauche à droite, en suivant les flèches et les escaliers. Chaque pièce est unique, dotée d’appendices innocents dont l’utilité conjugue à l’absurdité. Une échelle de bateau, des bacs à minéraux ou un présentoir. Comme des cimaises sur roulettes d’un musée imaginaire que l’on agencerait pour chaque visiteur.
FIL, Ethel Lilienfeld, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Le fil se déroule ici dans une chorégraphie répétitive de gestes pour apaiser la nuit, pour recoudre ses lambeaux, faire de ces sentiments et de ses émotions une pelote aussi fine qu’une mousseline. La femme que l’on voit de dos, dans la vidéo de Ethel Lilienfeld a peut être vécu dans cette chambre autrefois. Là, elle est assise au bord du lit. On ne sait pas ce qu’elle coud de ses grands gestes amples. Cherche-t-elle à réparer une déchirure, ou à refermer une blessure ? Brode-t-elle le récit imagé des rêves de sa courte nuit. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’en aura jamais fini. Elle a peut être brodé ces quelques lignes sur un blanc coton en souvenir d’une rose rouge qu’il lui offrit, un rouge semblable à la première goutte de sang qui a taché les draps.
FIL, Mireille Asia Nyembo, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Le wax a, à ce point, imprimé les imaginaires modernes qu’on en a fait un tissu authentiquement africain, alors qu’il n’est qu’une importation. L’artiste d’origine congolaise Mireille Asia Nyembo a ouvert les tiroirs de la mémoire familiale pour en extraire des pièces de raphia, un tissu oublié qu’elle a soumis à la loi du feu et de l’eau pour obtenir un pigment et faire disparaitre le wax. Déstructuré, restructuré, le tissu passe-partout perd de sa modernité pour rejoindre le temps des ancêtres. Une carapace, une côte de mailles en suspension, tissu végétal et minéral à la fois. Qui laisse passer les rêves et les lumières.
Infospratiques
FIL, Maren Dubnick, vue d'exposition, photo Candice Athénaïs
Maren Dubnick embobine le minuscule et le majuscule, l’intime et le public. D’une gangue de fil, elle enroule patiemment et enroule encore les objets les plus petits, nécessaires à coudre, pointes de compas et les volumes les plus imposants comme des clubs de golf ou même des cheminées d’usine. D’un subtil épaississement de la forme, elle perturbe le quotidien et déstabilise le regard. Détournés de leur fonction, les objets perdent en utilité ce qu’ils gagnent en beauté et en mystère. On glisse dans l’univers du conte où les grandes filles tissent leur cocon de fil, de corde ou de ficelle non pas pour marquer leur passage mais pour transformer le monde.