FLAMBOYANTE
VILLA EMPAIN

Gilles Bechet -

Avec Flamboyant, la Villa Empain vous invite à découvrir l’intérieur d’un grand collectionneur des années 30. Appelons le Mr Edmond B, et glissons-nous dans une rêverie autour de cette somptueuse exposition.
Salon Intime, photo Lola Pertsowsky, © Fondation Boghossian
Comme deux vieilles amies, nous avons marché sur la plage et déchiffré les nuages. Quand Simone raconta à Edmond qu’elle avait rêvé de la Jeune fille à la Mauresque, il n’y prêta pas une attention particulière. Sa femme avait l’habitude de lui raconter ses rêves et puis, elle était vraiment obsédée par cette peinture. La première fois qu’ils l’avaient vue, c’était dans une galerie de la rue des Bains à Genève. Ce jour là, elle portait une robe du même vert. Un signe, avait-elle glissé. Quelques années tard, ils ont revu le Matisse chez un marchand d’art à New York. Devant la toile, elle a serré délicatement le bras de son époux en fixant le visage pensif de la jeune fille qui se détachait d’un palmier. Il n’a pas hésité très longtemps avant d’en faire l’acquisition. De retour à Bruxelles, avant même de franchir le seuil de la villa de l’avenue Roosevelt, Simone savait qu’elle accrocherait la peinture dans le Salon Intime.
Chambre d’enfant, photo Lola Pertsowsky, © Fondation Boghossian
Edmond pensait que l’Homme aux yeux n’avait rien à faire dans la chambre de Nicolas. La peinture de Picabia avec cet homme argenté au visage mangé par quatre paires d’yeux lui semblait vraiment trop effrayante pour un enfant. Simone en avait pris l’initiative alors qu’il était à Assouan pour surveiller un chantier. Elle a toujours vu les choses du bon côté, persuadée de la bienveillance de la nature humaine, même face à l’étrange. A son retour, il aperçut la toile accrochée à moins d’un mètre au dessus du lit de son fils. Presque enjoué, Nicolas lui confia que la nuit, il avait rêvé de Ténébrax, l’homme aux mille yeux. Il assura aussitôt à l’enfant qu’il allait décrocher la peinture de sa chambre. Je vous en prie, père, ne faites pas ça, s’est écrié le gamin avec véhémence. Ténébrax me protège. Quand je ferme la lumière, les yeux se détachent de l’image et font le tour de la chambre. Et veillent sur moi toute la nuit.
Fumoir L’Oasis, photo Lola Pertsowsky, © Fondation Boghossian
Un soir, après avoir travaillé tard à un projet dans le port de Mombasa, Edmond B. passa au Fumoir. Il était assoupi quand La Femme debout dans le jardin vint lui parler. Il avait du mal à distinguer son visage dans l’ombre de son châle, une bouche cernée de vermillon qui dansait dans l’obscurité. Au creux de sa main blanche, la femme serrait un coeur palpitant qu’elle voulait lui offrir. Edmond sentit se poser sur son épaule les griffes d’un oiseau prêt à extraire son vieux cœur de sa poitrine et faire de la place à l’offrande. Il n’est resté qu’un bref instant avant de s’envoler dérangé par le même bruit qui le réveilla en sursaut. Désormais, lui aussi, se mettait à rêver des peintures accrochées aux murs de la villa. Il se demanda si cette maison ne possédait pas un étrange pouvoir. Et s’il ne devait pas en parler à Monsieur Polak, l’architecte. Il n’en fit rien.
Chambre à coucher, photo Gilles Bechet
Une connaissance lui apprit le passage du Prince Petrulla à Bruxelles. Edmond avait gardé un tel souvenir de son séjour dans la villa du diplomate à Palerme qu’il se devait de lui rendre la pareille. Il obtint des places au deuxième rang à la Monnaie pour voir Wozzeck avec Lucien van Obbergh dans le rôle-titre. Ensuite, ils partagèrent un dîner à la maison. Edmond lui laissa tout naturellement la plus belle chambre. Le lendemain avec son délicieux accent, le Prince raconta qu’il avait dansé avec des lignes. Il était de notoriété publique que l’homme était un danseur émérite, mais Edmond ne saisit pas très bien son propos jusqu’à ce que Petrulla ajoute qu’il avait vu les carrés au dessus du lit s’allumer pour l’inviter à entrer. Il évoquait les Compositions géométriques de Michel Seuphor, sans aucun doute.
Grand Salon, photo Lola Pertsowsky, © Fondation Boghossian
Comme un enfant émerveillé par son nouveau jouet, Edmond avait présumé un peu trop vite que ce magnétisme onirique allait de soi. Il n’en était rien. Son cousin Félicien lui en fit la démonstration. Après un copieux dîner trois services à l’occasion de l’anniversaire de Simone, il était passé dans le Grand Salon où il s’est assoupi en écoutant Ozzie Nelson et son orchestre jouer Dream a Little Dream of Me. Edmond prit bien garde de ne pas le déranger, demandant au personnel d’en faire de même. Le lendemain matin, alors que son cousin lui parlait de son dernier voyage aux Etats-Unis où il avait visité une usine de production de zinc, Edmond se permit de l’interrompre pour l’interroger sur les rêves qu’il aurait eu dans le Grand Salon. Non, je n’ai pas rêvé mon cher. Pourquoi cette question ? 
Max Ingrand, La Naissance de Venus (détail), photo Gilles Bechet
Le dimanche quand Edmond était à la maison, il avait pris l’habitude de partager avec Simone leurs rêves respectifs. C’était devenu un jeu de puzzle. Ils changeaient régulièrement l’accrochage des tableaux et faisaient de même avec le couchage. Ils avaient découvert qu’ils pouvaient rêver du même tableau chacun à leur manière. Un peu comme s’ils étaient les hôtes de chambres différentes dans la même maison. Ce devait être au mois de novembre qu’elle lui parla de Jacques Sorksman, un type un peu artiste, un peu mage, qu’elle avait rencontré à une conférence sur l’holosophie au Palais des Beaux-Arts. Elle insista pour qu’il le rencontre, proposant de l’inviter au Perroquet. Un endroit particulier pour eux deux, puisque c’est dans cette bodéga de la rue de la Reine qu’Edmond avait demandé Simone en mariage.
Infospratiques
Salon Intime (détail), photo Gilles Bechet
Jacques Sorksman ressemblait à un employé de la Société Générale plus qu’à un artiste. Il portait un costume gris de bonne coupe avec une cravate vert bouteille ornée de motifs feuille de palmier. Sans détour, il proposa à Edmond de créer une œuvre d’après ses rêves. Elle serait unique. Autant surpris qu’excité, le collectionneur accepta l’étrange offre. Sorksman lui annonça qu’il allait simplement dormir une nuit dans la chambre au pied du lit. Et qu’il n’avait besoin de rien. Il se présenta avec une petite mallette et un fin tapis roulé sous son bras. Avant d’éteindre les lumières, il plaça des voiles de tissu rouge devant les tableaux pour qu’il n’y ait pas d’interférences, disait-il. Le lendemain, quand Edmond ouvrit les yeux, son invité était déjà debout comme s’il n’avait pas dormi. A la table du petit déjeuner, il semblait satisfait. Vous avez un psyché très riche, Monsieur B. J’ai de quoi peindre. Vous verrez le résultat dans un mois. Ça s’appellera Flamboyant.