LE REGARD DE
BALTHASAR BURKHARD

Gilles Bechet -

Il pratique la photo avec un souci du détail et de la profondeur hallucinant. Ses tirages noir et blanc magnifient l’art photographique. Le Botanique propose pour la première fois en Belgique une rétrospective de l'œuvre de Balthasar Burkhard.
Balthasar Burkhard 1969 - 2009, Vue d’exposition (c) Botanique
Il voulait être semblable à l’oiseau. Suspendu à un fil invisible comme si le temps s’arrêtait. Planer. Et regarder. Il se souvenait qu’enfant, il avait volé avec son père qui pilotait ces grands avions de ligne. Par la fenêtre, il voyait le tapis de nuages qui paraissait solide, alors que quand on le traverse, la matière disparaît. Depuis, chaque fois qu’il vole, il se souvient et photographie l’aile de l’avion au-dessus des nuages. Une construction métallique si rassurante. Sans commune mesure avec l’architecture sublime d’une aile de faucon, si légère, faite pour les hauteurs et pour la vitesse.
Balthasar Burkhard, Rio Negro, 2002 © Balthasar Burkhard Estate
Traverser la matière avec le regard du prédateur. Repérer le moindre petit rongeur dans les arbres ou ces poissons si vifs qui glissent dans l’eau du fleuve. Même depuis des hauteurs vertigineuses aucun détail ne se perd. Quand il descendait doucement par vol concentrique, l’oiseau avait l’impression de pouvoir se fondre dans la noirceur de la forêt ou plonger sous l’eau glacée. Le regard reconstruit le réel, il en est persuadé. Pas besoin de se laisser distraire par la couleur. Dans toutes les nuances veloutées du noir et blanc, il y a une profondeur infinie.
Balthasar Burkhard, Diablo, Schwarzes Pferd, 1995 © Balthasar Burkhard Estate
L’oiseau observait le cheval avec curiosité. Il admirait l’immobilité de ce corps massif. Les muscles lovés sous la peau tendue et soyeuse, presque luisante, cachaient leur puissance. Comme ces moments de calme avant la tempête. C’est la course qui rend les chevaux légers, même s’ils restent irrémédiablement liés aux forces de la terre qui les porte. C’est sans doute pour cela que dans leurs légendes, les hommes ont imaginé des chevaux ailés. Capables de tutoyer les dieux. Celui-ci n’avait pas besoin de ça. Posé sur un tapis de graviers, il semble frappé de stupeur avec un regard d’une douceur mélancolique tourné vers ces paysages où le galop n’a pas de fin et où la fatigue devient un élixir de jouvence.
Balthasar Burkhard, Bernina 05, 2003, © Balthasar Burkhard Estate
L’oiseau aimait voler au-dessus de la chaîne de la Bernina. Se laisser porter en rase-mottes. Frôler ces roches vieilles de dizaines de millions d’années qui semblent s’être entrechoquées la veille. Le tapis de neige lissé par les vents qui soufflent à plus de 4000 mètres dans l’air pauvre en oxygène forme une couche immaculée. Le drapé de nuages posé sur l’horizon compose avec les sommets alpins une scène de théâtre où l’homme, créature insignifiante, n’a pas sa place. De toutes façons, il ne sait pas voler.
Balthasar Burkhard, Body 033, 1986 © Balthasar Burkhard Estate
Un jambe humaine est tellement différente de sa patte, se dit l’oiseau. Elle n’est pas faite pour le vol, pour la légèreté. Mais pour quoi est-elle faite alors ? Pour se tenir debout. Pour être regardée. Quand on se donne le temps, on peut y voir de douces collines et des crevasses. Un paysage dessiné par la position couchée et le repos. Et puis, il y a la qualité de cette peau presque glabre câlinée par la lumière qui appelle encore d’autres caresses, bien qu’avec ses serres griffues, il ne s’y risquerait pas l’oiseau.
Balthasar Burkhard, Mexico, 1998 Coll. Musée des Arts Contemporains au Grand-Hornu, propriété de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Voler au-dessus de la ville de Mexico découpée à perte de vue par la grille de ses avenues. 20 millions d’âmes s’y entassent. Vus du ciel, ils disparaissent, car le ciel appartient aux oiseaux. Au dessus de l’aéroport international, ce sont même des faucons pèlerins qui font la loi. En échange d’un peu de nourriture et d’un hangar pour dormir, il se laissent porter pour quelques heures par les courants d’air chaud, volant aux abords des pistes pour dissuader hirondelles, faucons crécerelles et milans d’entrer en collision avec les avions qui décollent et atterrissent dans leur majestueuse lourdeur.
Infospratiques
Balthasar Burkhard 1969 - 2009, Vue d’exposition (c) Botanique
Assistant du photographe Kurt Blum, le jeune Balthasar Burkhard apprend à maitriser le tirage noir et blanc, dont il devient un maître incontesté. Sa rencontre marquante avec Harald Szeemann, commissaire d’exposition iconoclaste le plonge dans la scène artistique des années 70. Son œuvre aborde une grande variété de genres, paysages, nus ou natures morte. Privilégiant les grands formats, il aimait se jouer des échelles et du contexte de la photo documentaire pour créer des images d’une troublante qualité picturale.