Deux, c’est nous
à la Maison des Arts

Gilles Bechet -

La Maison des Arts de Schaerbeek a invité Alain Bornain et Myriam Hornard à se rencontrer et dialoguer avec ses murs et ses fantômes dans une intrigante et séduisante exposition.
Maison des Arts, exposition Us, Myriam Hornard, photo Gilles Bechet
Le bronze est fait pour durer, pour prendre la poussière sur la cheminée. Coulés dans l’éternité, les objets du quotidien échappent à la vie et à ses fragilités. La moiteur d’un pied étouffé par la chaussure, cisaillé par son bord coupant. Le goût acre et délicieux du café brûlant qui reste en bouche plus longtemps qu’il ne le devrait. En se souvenant du parfum fade de la cire d’église, elle s’est demandé si c’était cela l’odeur de l’éternité. Une permanence trompeuse qui peut perdre corps, s’affaisser, devenir flaque.
Maison des Arts, exposition Us, Myriam Hornard, photo Gilles Bechet
Elle se souvient s’être un jour demandé où allaient nos cheveux. Ce coiffeur à la voix doucereuse était trop bien peigné pour être honnête. Une telle quantité de cheveux tombant comme des feuilles mortes sur le carrelage à damier était un vrai trésor propre à attirer la convoitise d’un banc d’aigrefins. Les cheveux mis en culture pouvaient se révéler un matériau inépuisable. Souple, malléable et vivant, le cheveu n’était-il pas trop précieux pour être gardé sur la tête alors qu’il peut être consacré à tant d’usages.
Maison des Arts, exposition Us Alain Bornain, photo Candice Athenais
Il se souvient d’avoir lu l’Ecume des jours, dans une édition de poche. D’avoir vécu cette histoire d’amour et de marécage, de jazz et de nénuphar comme la sienne. De l’avoir lu 4000 fois, à en avoir usé les pages et gommé des phrases entières jusqu’à ne laisser que deux prénoms, Colin et Chloé, flotter sur la blancheur du papier. L’absence est comme une porte ouverte pour laisser entrer l’imagination. Et il sait que l’imagination est comme une fleur souple, vivante et parfumée bien plus forte que la réalité tristement raide et amidonnée.
Maison des Arts, exposition Us Alain Bornain
Il se souvient de cette photo de classe qui à présent s’efface de sa mémoire pour revenir nimbée d’or. Les visages de ces enfants impassibles, debout dans la cour de récréation dans l’attente d’une autre vie par delà ces murs, la face du maître avec ce regard sévère qui se demande comment faire entrer les déclinaisons et les tables de multiplications derrière les murs d’os de toutes ces boîtes crâniennes qui lui ont été confiées. Un moment déjà oublié au profit d’une image qui nourrit la mémoire à moins que ce ne soit l’inverse.
Maison des Arts, exposition Us, Alain Bornain, photo Gilles Bechet
Il se souvient de ces Palaces où il faut payer très cher pour avoir le luxe de ne rien faire. Le flan au caramel dégusté à la terrasse du Negresco sur la Promenade des Anglais lui a fait penser à un château de sable qui s’effrite sous le coup de cuillère. En dégustant un homard braisé dans le salon désert du complexe Fregate Island dans les Seychelles, il ne pouvait quitter des yeux ce transat solitaire planté sur le sable blanc à l’ombre des palmiers. La brise venant du large faisait gonfler légèrement la toile comme une voile. Personne ne venait jamais s’y asseoir. A un moment, il a même douté de son existence.
Maison des Arts, exposition Us, Myriam Hornard, photo Gilles Bechet
Elle se souvient d’avoir vu Rebecca. D’avoir glissé derrière l’écran pour errer en imagination dans les couloirs glacés et grisâtres de cette vaste demeure isolée. De se couler derrière les tentures et de se cacher entre les plis pour les sentir frissonner au passage de l’absente. Chaque maison, elle le savait, garde des voix comme des empreintes à distinguer, à extraire du silence. Dans l’escalier de service, dévalé volée après volée par le personnel de maison, dégringolent les prescriptions de servitude « Ne pas bredouiller, Ne pas se plaindre, Ne pas souffrir, Ne pas plaire ». Des mots qui les enchaînaient à leurs devoirs et à leurs maîtres.
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Maison des Arts, exposition Us, Myriam Hornard, photo Gilles Bechet
Avec une aiguille et du fil, elle entrait dans l’intimité des chefs d’oeuvres. Un nu de jeune fille de David, une Venus de Boucher qu’elle s’approprie avec une rage féminine, iconoclaste et colorée. Une chevelure incendiée, un voile de pudeur tatoué sur le visage. Dans sa douceur marine, le galet se souvient des vagues qui l’ont caressé et enveloppé d’écume. Une fois niché au creux de la main, il n’en renonce pas pas moins à sa dureté et à sa fermeté. Des sensations qu’elle veut préserver en enveloppant le doux caillou d’une gangue de soie.