Je suis
ma collection

Gilles Bechet -

 

La Belgique est une pays de collectionneurs, ce n’est pas un secret. Ce qui l’est d’avantage, c’est l’intimité de leurs collections. A la Centrale, onze collectionneurs ont accepté de lever le voile sur une partie de leurs trésors dans Private Choices, la passionnante exposition imaginée par Carine Fol.
Bill Viola © Philippe DeGobert Brussels
Les collectionneurs se confondent avec leur collection jusqu’à disparaître sous des initiales ou un pseudonymes. Leurs choix parlent pour eux et parlent d’eux. Chacun de ces collectionneurs a une relation très forte avec chacune des œuvres de leurs collections. Collectionner, c’est comme tomber amoureux encore et encore. La fable grossière qui les déguiserait en investisseurs intéressés est très rapidement balayée. Il ne faut pas croire que tous les collectionneurs jouent avec les liasses comme le banquier du Monopoly. Certains ont commencé avec des budgets modestes et sont mille fois récompensés quand des artistes de renommée internationale peuvent se dénicher en vente aux enchères.
Bill Viola © Philippe DeGobert Brussels
Une collection, c’est un réseau de sens qui se tisse au fil des acquisitions et qui peut changer comme quand on relance un faisceau de mikados. Nous vivons avec notre art. Nos installons les œuvres selon les conversations ou les liens qui peuvent être établis avec d’autres œuvres. explique BG dans les réflexions qui accompagne les œuvres qu’ils ont choisis. Ils cherchent l’harmonie et l’intensité. Que peut dire la silhouette de femme enceinte de Louis Bourgeois au paysage calciné de Thierry de Cordier. Le feu qui brûle à l’intérieur. Que regardent les témoins de Bill Viola ? L’enfer selon Miguel Rio Branco, des liens à dénouer, la liberté à retrouver. Mais pas sans l’art. Vivre sans l’art, sans l’idée de l’art nous paraît une perspective bien désagréable. Acheter une œuvre de temps en temps fait partie du plaisir.
Private Choices © Philippe De Gobert
Le collectionneur n’est pas égoïste, et encore moins inutile. Dans la chaine, le collectionneur est très important car les métiers d’artiste et de galeriste ne sont pas faciles. Il est difficile de considérer qu’il y ait une œuvre s’il n’y a pas de regardeur et puis, in fine, de collectionneur quelque part. Pour ma part, le fait d’acquérir sans l’aide d’un conseiller et avec des moyens financiers « normaux » montre que c’est un engagement personnel d’autant plus fort, ça fait vraiment partie d’un mode de vie important. La collection de Nicole et Olivier G. est une fenêtre sur le monde d’aujourd’hui et ces dérives. On y voit des mains qui tiennent une tasse de café, une fille qui attend avec son seau en plastique et sa robe fleurie. Un homme en costume cravate attend aussi. Il ne la regarde pas, il est sur une autre photo. Ce sont des signes du monde. De notre monde.
et Francis Allÿs et Yoshitomo Nara, Winter Long 1999, © Philippe De Gobert
On chercherait en vain la signification du rébus que compose les différentes pièces d’une collection. L‘unique fil rouge dans notre collection est l’émotion. Il n’y a pas de fil rouge intellectuel, pas de passion pour le minimal, le figuratif ou autre. Notre méthode pour collectionner est induite par nos limites financières. raconte C2. On peut y voit de la douceur dans le visage d’enfant de Yoshitomo Nara et de la légèreté dans cette promenade sur les nuages peinte par de Francis Allÿs. Ou un pied de nez à la mort dans un alignement de cranes, brillants ou colorés, qu’on croirait voir sourire. Quand on se rend compte que l’émotion peut venir d’une idée, on s’ouvre à beaucoup plus d’autres choses.
Carlos Aires, Llorando, 2010 © Arcades
Quand on me demande ce que je collectionne, je réponds que je collectionne des idées, des idées qui ont une forme physique. Ces formes doivent pouvoir vivre sans qu’on connaisse les idées qu’il y a derrière. précise Alain Servais. Des idées tranchantes comme les couteaux suspendus au-dessus de gisant de Carlos Aires, des idées qui grandissent et essaiment comme l’homme fleuri de Nick Cave. En composant ses choix, en associant des pièces, le collectionneur crée aussi une œuvre à son niveau. Au fond, l’artiste crée un mot et le contexte -c’est-à-dire le curateur, le collectionneur ou même le public- le met dans une phrase qui devient la sienne et qui peut changer. Une phrase que le spectateur à son tour va réécrire.
Chema Madoz, Sans titre, 2008 © Philippe De Gobert.
La collection de Galila aime les jeux visuels avec le quotidien. Un livre aux citations tranchantes, une paire de galets aux cils de biche. Fatigué du banal, on s’assied dans un caddie fauteuil ou dans un radiateur club pour maintenir ses fesses au chaud. Je n’ai pas choisi de collectionner l’art contemporain, c’est lui qui m’a choisie ! C’est une passion qui est née accidentellement est qui est depuis 10 ans, tout à fait incontrôlable. C’est de la pure intuition : je carbure à l’instinct. Je qualifie ma technique de choix comme suit : je regarde sans voir et je vois sans regarder. En ouvrant sa porte à l’art, Galila a mis le doigt dans l’engrenage, mais finalement la cohabitation se passe bien. A la satisfaction des deux parties. Je suis habitée par ma collection, mais je peux dire que je vis chez elle. Je me considère comme une SDF accueillie par ces œuvres qui m’accordent un petit espace de vie.
Infospratiques
Benoit Maire, The Escape (jeu de dominos) #8, 2014©Rebecca Faneuse
Christophe Veys voit joliment son rôle de collectionneur comme celui d’un ambassadeur timide. La collection existe en moi, dans mon cerveau et dans mon cœur. Je porte les œuvres en moi à tout moment. J’attends d’une œuvre qu’elle me bouleverse comme un être humain. J’aime qu’elle soit un mystère, qu’elle soit complexe, qu’elle soit en opposition totale avec moi ou en fusion totale. Il a choisi de la présenter sa collection en référence à la collection invisible de Stefan Zweig. Si on y prête garde on voit un trombone déplié dans un coin, d’autres objets ou artéfacts mystérieux des feuilles de papier dépliées, des cartes postales ou de drôles de cailloux sphériques. Il y a aussi le patron de Benoit Maire, découpé et prêt pour une partie de dominos, celle de la vie.