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Quadens
silex 2020 (c) Pol Quadens
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Cairn (c) Pol Quadens
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Cairn Paysage (c) Pol Quadens
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Atelier Pol Quadens
Pol Quadens
Pol Quadens

Pol Quadens
La vérité du silex

Gilles Bechet -

Le designer et sculpteur Pol Quadens, s’apprête à installer sa dernière création, Flint 2020, une sculpture monumentale de 6 mètres de haut dans le parc du château de Vullierens, en Suisse. Retour avec l’artiste sur son parcours original et sur la passion de son métier.

 

 

Silex story

Parti du travail de ses mains et de sa soif d’apprendre, Pol Quadens est revenu à l’essentiel de la forme et du matériau. Designer autodidacte, il commence par restaurer des voitures de collection. A la fin des années 80, il se lance dans la création d’objets et de mobilier. Le succès est très vite au rendez vous avec une étagère CD, constituée de 2 feuilles en acier laqué noir avec tiges en aluminium qui est devenue un des totems de l’époque.

Il y aura ensuite une chaise ultra légère en fibre de carbone, ou encore la fameuse chaussure Strada, haut perchée mais sans talon, qui séduira même Madonna. Avec la découverte de l’acier inoxydable, il se tourne vers la sculpture monumentale avec des pièces inspirées des pierres taillées et des empilements de galets néolithique.

Flint 2020, sa dernière création est inspirée de celle des silex que manipulaient les premiers hommes. Haute de 6 mètres de haut, sa surface polie en acier inoxydable reflètera les frondaisons du parc du château de Vullierens, en Suisse, où elle sera installée en Avril 2020.

 

A ce stade de votre carrière, êtes vous soucieux de ne pas vous répéter ou votre style est suffisamment ouvert pour accepter toutes les évolutions ?

Pour moi le style est une invention fantasque de décorateurs en mal de reconnaissance. Le style c’est quelque chose dont il faut se méfier.

 

Décelez-vous néanmoins une constante dans votre travail ?

Je dirais une grande simplicité, obtenue souvent, presque à chaque fois par une mise en équilibre-déséquilibre des choses, en jouant sur les matériaux, en allant jusqu’au bout de leur résistance technique. Que ce soit pour des chaussures, des enceintes en Corian, que ce soit une console ou une sculpture, je vais au bout du matériau et je m’arrête un peu avant qu’il cède. Je vais chercher la finesse la plus extrême des choses, la plus grande fragilité. C’est là que se trouve leur plus grande beauté, leur plus belle esthétique. Un arbre n’aura pas une branche plus épaisse qu’une autre, la patte d’un canard, d’un oiseau ne sera pas plus grosse qu’un autre, s’il n’y a pas une bonne raison. J’essaie de revenir en arrière et de remonter dans le passé aux premiers gestes de l’homme avec les premiers outils. Je suis fasciné par les silex, les cairns, galets empilés et par la simplicité de quelques polygones installés les uns sur les autres comme un jeu d’enfant.

 

De quoi nourrissez-vous votre inspiration ?

Je n’ai pas d’inspiration dans le sens où on l’entend. L’inspiration implique généralement une réflexion avec des influences Moi je dessine très vite, souvent la nuit ou tôt le matin. J’ai un rêve éveillé tôt le matin, je le dessine, je le fais et c’est terminé. Ça va très vite. Dans mes trente ans de carrière, j’ai dû passer quelques heures à dessiner.

 

Ces dernières années, vous travaillez de plus en plus vers les pièces uniques ou les séries très limitées
Il y a aujourd’hui en design une demande assez importante pour les prototypes et les pièces uniques, ce qui me convient puisque je suis me suis rendu compte que je suis bon à ça. Si je devais recommencer à faire éditer des pièces chez un éditeur italien ou allemand, j’aurais beaucoup plus de problèmes parce que l’industrie du design est en faillite totale depuis 10 ans, si pas 20 ans. La logique de mon évolution a fait que désormais je travaille seul, des matériaux de la terre, des matériaux les plus purs, les moins chimiques, ceux qui retourneront à la terre en disparaissant. Ces pièces uniques que je fabrique vont être acquises par des gens qui vont les conserver pendant très longtemps. Et ça me plait.


Dans le passé vous avez travaillé à des pièces éditées en série assez importantes ?

Pendant plusieurs années, j’ai produit des chaises en carbone, des milliers de chaises en composite fabriquées en Inde. Sur 15 ans, j’ai fait plus d’une centaine de milliers d’exemplaires d’étagères à CD . Tout ça fait partie de mon histoire et de la manière de fonctionner entre dans les années 80-90, où on ne faisait pas d’éditions limitées. L’industrie du design s’est cassé la figure, Milan s’est cassé la figure; les galeries ont émergé, et avec elles les artistes. Les anciens designers se sont mis à la pièce unique et j’étais humblement un peu en avance sur les autres parce que ça correspond bien à mon histoire. J’ai fait faillite en même temps que l’industrie italienne et j’ai arrêté mon design de production en 98. Entre 99 et 2004, j’ai encore fait des chaussures. J’ai tout arrêté en 2004 même si ça marchait très bien. Je vendais à Paris dans les magasins des Champs Elysées où on me demandait sans arrêt de nouveaux modèles, de nouvelles couleurs et de nouveaux montages. Je devenais styliste, ce qui n’est pas mon boulot. Donc j’ai tout arrêté. Depuis 2005, je me suis mis au Corian. C’est un matériau magnifique avec lequel on peut tout faire. J’ai fait des lampes, des tables des chaises, du mobilier d’extérieur, j’ai fait des expositions à Paris, à New York. Ça a duré 10 ans. En 2014, j‘ai commencé l’acier Inox et je n’ai pas arrêté depuis.

Votre attrait pour l’acier vient de votre formation en carrosserie ?

Bien sur. En carrosserie, j’ai appris tous les matériaux. Dans une bagnole, il y a du métal, du plastique, de la peinture, il y a du cuir, du caoutchouc, il y a du bois, il y a de l’aluminium. Evidemment, les voitures m’ont tout appris du point de vue matériaux et toujours dans la nécessité de travailler, dans l’inconfort total. Je n’ai pas eu de parents riches qui m’ont payé des études me permettant de glander jusqu’à 35 ans. J’ai toujours dû travailler, travailler. C’est en soudant des voitures sous le neige que j’apprenais à souder ma propre voiture. C’est au travail que j’ai fait mon apprentissage.

Quand la pièce est finie, elle doit être lisse et polie. C’est le côté miroir qui vous intéresse ?

C’est l’absence de matériau, l’absence de la technique, l’absence de tout arrêt de l’œil qui pourrait perturber la visibilité totale de l’objet dans toute sa simplicité. Un dessin n’a pas de soudure apparente. Je fais un dessin et je réalise ma pièce. Le Flint sera comme la maquette. Une définition parfaite, on ne verra pas les soudures, un objet sorti de nulle part ou plutôt venu de nulle part.

 

Maintenant vous avez la satisfaction de contrôler tout le processus ?

Oui du début à la fin. Je peux me permettre de changer et d’improviser. Sans avoir de limite de budget avec seulement mon temps à payer et pas celui de quelques autres personnes et sous-traitants. Dès qu’on fait appel à la sous-traitance, on doit avoir la rentabilité. Moi je n’ai pas besoin de rentabilité. Mon temps vaut ce qu’il vaut en fonction de ce que j’ai envie d’en faire.

 

Si vous avez des rêves, des choses à accomplir, quels seraient-ils ?

Je vais évoquer un concept hégélien d’impatience. Il dit que l’impatient se trompe et qu’on contraire, il doit prendre le pas de chacune des étapes qui l’amèneront à son but. Il doit profiter de tout son chemin pour y arriver et de passer un peu de temps sur son chemin. C’est difficile de s’appliquer ça à soi-même, mais je fais tout ce que je peux pour y arriver. Je n’ai pas d’objectif, je n’ai pas de but, je n’ai presque pas de direction. Je fais bien les choses aujourd’hui, je profite du moment et j’essaie d’avancer pas à pas et ça me permet de ne pas être impatient. Ça me permet de ne pas avoir peur que les choses n’arrivent pas. C’est une sorte de retour à l’être générique si possible. Par contre, j’ai hâte d’être lundi matin pour pouvoir terminer les deux grandes tôles d’acier de mon Flint. Ce sera la fin de cet objet et le début de tout le travail de finition, ponçage et polissage qui prendra des semaines et des semaines et je l’installerai en mars ou avril et ce sera une magnifique aventure. J’ai le sourire quand j’en parle, c’est vraiment une satisfaction personnelle humaine et aussi physique. La sculpture, c’est excellent pour la santé. En travaillant dans l’atelier, on est tout le temps physiquement actif.

 

Atelier Pol Quadens
155 avenue Émile Vandervelde 1200 Bruxelles
Tel +32 2 762 09 33