Le monde selon Irving S.T. Garp

Alexina Smet -

Son univers est aussi décalé que fascinant, son humour noir et ses clichés teintés d’une poésie acide. Bienvenue dans le monde du photographe belge Irving S.T. Garp.

 

L'universselon Garp
«Piscine ch. M-Nageur» extrait de la série «Rubriques nécrologiques» © Irving S.T. Garp

Élevé à l’ombre d’une bibliothèque, Bernard Caelen avale les bouquins, tout petit déjà. Choisissant ses lectures selon l’épaisseur des livres, le jeune garçon tombe par hasard sur « Le Monde selon Garp » de John Irving. Il découvre alors une nouvelle façon d’écrire, une nouvelle façon de lire. Un bouleversement littéraire qui le marque, au point de s’en inspirer quelques années plus tard, pour créer son nom d’artiste « Irving S.T. Garp ». Tout comme son auteur fétiche, le photographe met en scène la vie quotidienne, la détourne, la décale. La vie de tous les jours est mon inspiration première. J’ai la chance d’avoir énormément d’imagination, il me suffit donc d’une petite étincelle pour que ma créativité soit lancée. Primé à maintes reprises, le photographe reçoit dernièrement deux glorieuses récompenses internationales .: le premier prix du Metro Photo Challenge ainsi que la deuxième place du « 2015 Belgium National Award » dans le cadre du Sony World Photography Award.

 

 

Sa découverteMichaël Massart
«La vie est une longue salle d'attente» extrait de la série «Rubriques nécrologiques» ©Irving S.T. Garp

Histoire en images

Avant d’être photographe, Irving S.T. Garp était écrivain. Il rédigeait des longs métrages de fiction, sur lesquels il travaillait sans relâche. Fatigué par ce travail, il abandonne la plume. L’écriture est un travail passionnant mais terriblement personnel et solitaire, qui finit par vous épuiser psychologiquement. J’ai donc laissé tomber, mais ma créativité continuait de bouillonner, il me fallait trouver un autre moyen d’extérioriser ces idées. J’ai d’abord pensé à la B.D, pour laquelle j’ai vite compris n’avoir aucun talent. C’est alors que m’est venue la photographie, il y a environ cinq ans. La photographie est un art extraordinaire, car on peut raconter une histoire en une seule image, alors que l’écrivain a besoin de nombreuses pages ou le réalisateur, de kilomètres de pellicule.

 

 

«À bras le corps» extrait de la série «Le corps décortiqué» ©Irving S.T. Garp

Un univers créé, une carrière lancée

« À bras le corps » est ma première photo. Le modèle est ma fille Leslie. J’ai réalisé cette photo en parcourant le mode d’emploi de mon appareil, ne maîtrisant pas encore la fonction de tous les boutons ni les subtilités des réglages. Postée sur plusieurs sites, cette photo suscita de nombreuses réactions positives et négatives. Habitués à voir défiler de sirupeuses photos de petits chats, de paysages et de bambins souriants, certains furent séduits et d’autres choqués par cette surprenante mise en scène. J’ai ainsi tout de suite compris que l’univers photographique que je m’apprêtais à créer ne laisserait personne indifférent. Et pour cause, avec cette photo Irving S.T. Garp pose le pied dans un monde nouveau. Un univers qu’il s’apprête à dompter, à sa manière : à coup d’humour noir et de poésie acide.

 

SonCafé Culture
«Lessivée» extrait de la série «Vous avez dit bizarre?» ©Irving S.T. Garp

Lessivée

Une femme, les bras ballants, aussi inanimée que les vêtements qui la côtoient : voilà l’humour à la Irving S.T. Garp. Un humour souvent sombre, qui dépeint une société pas toute rose. Cette photo fait partie de ma série « Vous avez dit bizarre ? », une  série caricature au travers de laquelle je souhaite porter un regard décalé et ironique sur notre société et ses travers.  Pour l’anecdote, je conduisais ma fille à l’école lorsque l’idée de cette photo m’est venue. En voyant deux pulls sécher sur un balcon, j’ai automatiquement eu l’image de cette femme, occupée à mille et une tâches, qui à la fin de la semaine est aussi lessivée que ses pulls. 

 

 

«L'auto-stoppé» extrait de la série «Le corps décortiqué» ©Irving S.T. Garp

Précision chirurgicale

Ultra perfectionniste, Irving S.T. Garp a le sens du détail. Ses photos, il les scénarise, les résume en deux ou trois phrases, rien ou presque n’est laissé au hasard. La photo n’est en soi que la dernière étape d’une longue réflexion. Une fois que j’ai le résultat final en tête, il me suffit alors de rassembler les divers éléments et de trouver le bon modèle. Sur le shooting, dès que les éléments sont positionnés, le tout peut être bouclé en moins de cinq minutes !  Pour preuve, lors du shooting de « L’auto-stoppé », le modèle qui devait poser dans le rôle du cadavre s’est dégonflé à la dernière minute, effrayé à l’idée de devoir se coucher sur une table d’embaumement dans une morgue. Après avoir fait tous les réglages, j’ai donc pris sa place et c’est mon épouse qui a appuyé sur le déclencheur de l’appareil. « L’auto-stoppé » est donc un autoportrait de mon pouce.

 

 

Irving S.T. Garp L'actu
«Pose longue» extrait de la série «Y a pas photo !» ©Irving S.T. Garp

Pose longue

Ces modèles, le photographe les pioche au cœur de « Monsieur et Madame Tout-le-Monde ». Pour mes photos, j’ai besoin de spontanéité. C’est la raison pour laquelle je ne souhaite pas travailler avec des mannequins professionnels qui sont trop formatés. Mes modèles sont des amis, des connaissances, des amateurs que je mets en scène tels des acteurs, des comédiens. Chacun se doit d’avoir une bonne dose d’autodérision, car les situations dans lesquelles je les place sont souvent risibles. Jusqu’auboutiste, Irving S.T. Garp cherche pour chacun de ses projets la personne qui correspond à son idée. Une obstination qui peut parfois lui prendre du temps.  J’ai notamment mis longtemps à réaliser cette photo-ci, « Pose longue », car je ne voulais pas tricher en prenant des modèles issus de familles différentes. Je voulais absolument que les femmes des quatre générations soient de la même famille. Un challenge réussi et dont je suis fier.

Bazar PhilosophiqueIrving S.T. Garp