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Jean-François Fourtou à la Galerie Mitterand photo: Laurent Lefèvre

Jean-François Fourtou
Interview grand angle

Gilles Bechet -

Exposition Les Abeilles de Bruxelles

Dans le monde de Jean-François Fourtou,  et son les animaux et les rêves d’enfance ont colonisé le même espace qu’ils habitent en bonne entente. Chacun n’est pas à sa place et c’est très bien ainsi. Les dimensions sont paradoxales et peuvent donner le vertige. On est dans le cocon qu’on se crée pour continuer à rêver, on ravive des souvenirs qui ne vous retiennent pas prisonnier mais vous apprennent à voler. C’est lors d’une après-midi ensoleillée dans l’ombre d’un grand tilleul devant la Villa Blanche que l’artiste se confie, confiant et heureux.

Comment votre intervention à la Villa Blanche du parc Tournay-Solvay, s’inscrit-elle dans la continuité de vos travaux précédents ?

Mon travail est d’abord personnel et intimiste. Les abeilles sont un peu un prétexte pour moi pour envahir des espaces que je partage avec des meubles et des objets de ma tante Louisette. C’était une femme simple de la campagne que j’aimais beaucoup. Et à sa mort, elle m’a légué tous ses meubles. Au début, je ne savais pas quoi en faire, puis comme j’aime bien travailler à partir d’objets concrets, je les ai réutilisés dans plusieurs expositions, l’une au MaMo à Marseille, une autre à la Galerie Mitterand à Paris et une autre au château de Chamarande. J’ai appelé ces expositions Merci Louisette. Les objets de sa vie étaient pour moi comme un matériau de construction avec lequel j’ai fait, selon le lieu, une cabane ou un retable.

À Bruxelles, le retour des meubles et des objets de votre tante Louisette a aussi une saveur particulière ?

Oui. Elle me racontait souvent qu’elle était venue à l’Expo 58 dans sa 2CV avec mon oncle et ma mère et qu’ils avaient passé la nuit devant l’Atomium, fascinés. Ils étaient juste venus voir l’Atomium. Comme ils n’avaient pas d’argent, ils avaient dormi dans la voiture et étaient repartis le lendemain. Ils avaient peut être vu d’autres choses, mais elle me racontait surtout cette anecdote. Ça m’amuse donc beaucoup de réutiliser tous ces objets de sa vie, 60 ans plus tard pour faire une exposition ici à Bruxelles.

Vous travaillez depuis plusieurs années sur les abeilles, et notamment dans votre domaine de Marrakech où vous avez créé une maison-ruche. Qu’est-ce qui vous attire dans ces insectes ?

Je suis fasciné par l’organisation de la vie en ruche. Les abeilles me permettent de me poser des questions sur le comment habiter et vivre ensemble. A Marrakech, j’ai créé une maison ruche, une maison habitable dans laquelle on retrouve des pots de miel géants, des alvéoles, des ramasseurs de miel, des abeilles géantes et même des fourmis géantes qui ont emporté des éléments du mobilier sur la façade qui est en forme d’alvéole. En sous-sol, il y a aussi un labyrinthe avec des pièces en alvéoles. J’aime faire cohabiter deux mondes qui,dans la vie réelle, ne se rencontrent pas.

 

Vous aimez aussi jouer avec la taille des animaux et le contexte dans lequel vous les plongez ?

Effectivement. En ce moment, je travaille principalement sur les abeilles, les fourmis, les escargots ou les tortues. Ce se sont tous des animaux qui soit, ont leur maison sur le dos ou soit, vivent dans une organisation assez fascinante. De plus, en changeant d’échelle, je peux les accrocher dans des endroits qu’ils n’occupent pas d’habitude, dans des appartements. Ce qui est très intéressant au niveau formel. J’ai une cliente qui a un appartement assez incroyable, très chargé mais dont les plafonds, sont blancs, comme souvent dans les maisons. Les animaux surdimensionnés me permettent aussi de faire les choses à l’envers, de parasiter des espaces qui ne sont pas occupés et qu’on ne voit pas tout de suite. Chez moi dans ma cuisine, j’ai une abeille accrochée au plafond que les gens ne voient pas tout de suite. Et quand ils la voient tout à coup, il y a toujours cet effet de surprise.

Votre intérêt pour les abeilles a-t-il aussi des composantes autobiographiques ?
C’est un peu comme tous les animaux que je fais. Je n’ai pas vraiment de raison. Autant pour les maisons, je peux en parler parce que c’est la maison de mon grand-père, les meubles de ma tante Louisette, ce sont des souvenirs et des sensations d’enfance. Tout ça c’est facile pour moi d’en parler. Depuis que je suis aux Beaux-Arts, je fais des animaux surdimensionnés, souvent fragiles, comme des abeilles en extinction ou des brebis enceintes. Je n’ai jamais eu de réponse claire sur cet intérêt récurent pour les animaux. Je ne me considère pourtant pas comme un sculpteur animalier. Je ne suis pas spécialement sensible aux animaux et j’ai grandi en ville. Je pense que ça doit être lié à mon ressentiment quand j’étais enfant et adolescent. J’avais cette impression diffuse d’être décalé dans un univers où je ne me sentais pas à ma place. En replaçant ces animaux hors du commun, surdimensionnés mais fragiles dans un contexte urbain ou citadin qui n’est pas le leur, je fais écho sans doute à comment je me sentais avant que j’aie pu, grâce à l’art, commencer à m’exprimer et me sentir moi-même. Je pense que c’est une réponse mais je tourne toujours autour de la question. D’autres gens ont parfois d’autres réponses pour moi, mais ça c’est leur interprétation.

 

L’installation que vous proposez se vit plus comme un parcours que comme une exposition ?

Comme une expérience, je dirais. C’est toujours mon défi quand je réalise une installation. Je travaille toujours en deux temps. Avec l’aspect extérieur, je fais en sorte que les gens soient surpris par quelque chose d’assez impactant visuellement et de très sculptural. À l’inverse, quand ils passent à l’intérieur, j’essaie qu’ils soient déstabilisés par la sollicitation. Soit ils perdent l’équilibre comme dans la maison à l’envers, soit ils se retrouvent enfant dans une maison de géant. Dans ce cas-ci, en traversant des armoires et en passant par des positions incommodes, ils entrent dans un monde un peu imaginaire et onirique qui les ramène en enfance. C’est une invitation à vivre des expériences à la fois intérieures et extérieures.

Vous aimez intégrer vos installations dans des espaces ouverts au public. Il y a une prise de position artistique avec ça ?

Oui, j’aime que les gens se reconnaissent rapidement dans une installation et que ça les touche dans leur imaginaire. Ces meubles, par exemple, beaucoup de gens m’ont dit que chez leurs grands-parents aussi, il y avait ce genre de meubles et que quand ils les traversent, ils retrouvent les mêmes sensations que chez leur grand-mère. C’est le genre de choses qui me touchent.

Cette approche anti-élitiste, fait-elle grincer des dents dans le milieu de l’art ?

Certainement. Souvent pour être branché, il ne faut pas qu’on comprenne tout de suite. Ce n’est pas mon objectif, je ne cherche pas à entrer dans le moule de l’art contemporain. J’aime beaucoup sortir des galeries et pouvoir faire des choses ailleurs. J’ai fait, par exemple, pas mal de choses avec Hermès dans leurs vitrines au Japon, à Paris ou à la Verrière ici Avenue Louise. Ce genre de sollicitations entraîne souvent beaucoup de contraintes. La villa, est une grande contrainte. Comme elle est classée, on ne peut rien clouer ou modifier. Être en résonance avec un lieu, dépasser une contrainte liée au désir du commanditaire, qu’il soit privé ou une boutique, c’est un défi qui m’intéresse beaucoup, plus qu’un endroit neutre, comme un musée ou une institution. Généralement, je me sens plutôt plus à l’aise quand je sors du contexte de l’art contemporain.

Avez-vous modélisé votre intervention en 3D ?

Non. Je ne le fais jamais. Si je fais une modélisation ou un projet trop détaillé au départ, je n’ai plus envie de le réaliser après. Ce que j’aime surtout c’est la spontanéité. Très souvent d’ailleurs, je fais des maquettes pour illustrer un projet une fois qu’il est terminé.

Quand on travaille dans l’espace public, on est en contact avec des gens qui ne se privent pas de donner leur avis. Est-ce quelque chose qui vous stimule ?

Oui, oui! C’est d’ailleurs très amusant parce que les gens sont souvent très déstabilisés. Par exemple, une gardienne du parc est venue l’autre jour me demander quand j’allais retirer tous ces meubles parce que c’est dangereux, ça pourrait tomber. Elle n’était pas au courant de l’exposition, mais une fois qu’on lui a expliqué, elle trouvait ça très sympathique même si elle ne le croyait pas au départ. Il y a beaucoup de réactions de gens, très variées, très souvent spontanées et assez touchantes. Même si je ne suis plus là. Je fais le projet, après je disparais et il vit sa vie. Chacun se l’approprie. Moi, je reste pour le vernissage et le lendemain, je pars. Après, il ne m’appartient déjà plus. Ça me plait que chacun le vive et le réinterprète à sa manière.

 

L’exposition Les Abeilles de Bruxelles est accessible jusqu’au 10 septembre 2017, du jeudi au dimanche, de 11 à 17 heures
Villa blanche du Parc Tournay-SolvayWatermael-Boitsfort
Accès par la chaussée de La Hulpe, parking SNCB à l’entrée du parc (Entrée libre)

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