Agnes Varda
les étangs de la mémoire

Gilles Bechet -

Agnès Varda revient à Ixelles où elle est née pour présenter dans son musée une exposition qui rassemble ses souvenirs et ses images. Femme curieuse des gens et des rencontres, elle a mené une carrière atypique. Photographe, puis cinéaste, elle est aujourd’hui artiste plasticienne, libre dans sa tête.

 

Agnès Varda, Les Etangs dIxelles, detail, 2016, Expo Patates et compagnie au Musee d'Ixelles ©Photo: Christian Snoeckx, Belgium 2016
Ça me correspond bien d’être un petit peu désordre. Il n’y a rien à comprendre, explique-t-elle pour désamorcer toute surinterprétation. Les Etangs d’Ixelles qui brillent sur le parquet se confondent avec le bassin dans le jardin de sa maison d’enfance rue de l’Aurore. Le refuge pour les canards fait penser à une pagode de parc d’attraction. Un peu comme chez les enfants, c’est une évocation. Un mélange d’imagination et de réalité.

 

Agnès Varda, L'Armoire à Souvenir, detail, 2016 ©Photo: George Strens, Belgium 2016
La mémoire, c’est comme un liquide. Quand on la secoue, des bulles remontent à la surface et éclatent. Et puis il y a les objets qui ont traversé le temps. Agnès Varda voulait évoquer son enfance dans la maison avec vue sur l’abbaye de la Cambre. Des albums de chromos, les souvenirs de la Reine Astrid dans le tiroir d’une commode. Le retour des sept nains de Disney en feutrine, souvenirs d’une séance de cinéma au Métropole en 1937 et survivants à l’exode de 40, a été négocié avec la famille.

 

Agnès Varda, Paravent de mémoire, 2016 ©Photo Christian Snoeckx, Belgium 2016
Une commode qui ouvre ses tiroirs, un paravent tapissé de tissus provençaux où sont épinglés des images de toutes sortes. C’est ainsi que quelques souvenirs dessinent une vie.  J’ai essayé d’évoquer ma mère comme je l’ai fait avec les étangs. Elle collectionnait les cartes postales, moi aussi.  On l’a compris, Agnès est sentimentale. Si elle aime les gens, elle a aussi la mémoire des objets qu’elle accumule pour dessiner un portrait de sa mère.

 

Agnès Varda, La Tricotine, 2016, Expo Patates et compagnie au Musee d'Ixelles ©Photo: George Strens, Belgium 2016
Agnès a même gardé le tricotin écaillé avec lequel elle a appris à tricoter. Avec les souvenirs, il faut agrandir les choses. La mascotte est devenue Tricotine, féminisée comme il se doit, et pour produire un boudin de tricot magnifié à la taille qui lui revient désormais, elle a fait appel à Crevette Dread, membre du collectif bruxellois des Wollekes qui câline de ses œuvres laineuses les arbres, poteaux, attaches vélo et grilles de la ville. Une rencontre qui est le fait d’un hasard auquel Agnès ne croit pas tout à fait.

 

Agnès Varda, Nazare, Portugal, photographie argentique, 1956 ©Agnès Varda
C’est avec la photographie qu’Agnès Varda est entrée en images. Des images pour le festival d’Avignon de Jean Vilar et le TNP de Gérard Philippe. Mais surtout, des voyages pour aller à la rencontre des gens en Chine, au Portugal ou à Cuba. Un appareil photo permet à la jeune femme qu’elle était de voyager léger. Une approche documentaire et des images structurées, presque dessinées, dans lesquelles elle aime la capter la vie en mouvement.

 

 

Agnès Varda, Ulysse, photographie argentique, 1954 ©Agnès Varda
Agnès Varda a une coquetterie. Elle aime mettre les hommes nus dans ses photos. Des hommes nus comme des statues. L’homme et l’enfant qu’elle a fait poser nus sur une plage de la Manche à proximité de la dépouille d’une chèvre morte sur la photo Ulysse. Et ces cinq hommes qu’elle a fait grimper sur des piquets plantés dans le sable. « Si vous montez sur un poteau face à la mer, que pouvez-vous faire sinon rêver ? »

 

Agnès Varda, Captures d2019instants, détail 5, photogrammes à partir de pellicule 35 mm, 2012 ©Agnès Varda
Depuis qu’elle s’est lancée dans le cinéma avec La Pointe courte en 55, elle n’a cessé de faire des aller-retours entre l’image fixe et animée. En découpant une séquence clé du film Sans toit ni loi en une dizaine de photogrammes, elle nous offre une autre vision de cette minute intense. Sandrine Bonnaire poursuivie par des Pailhasses de Cournonterral devient l’interprète d’une violence chorégraphiée, d’une geste antique qui nous renvoie à la peinture.

 

Agnès Varda, Patate Coeurs # 1, photographie, 2002 ©Agnès Varda
L’installation Patatutopia, présentée à la Biennale de Venise 2003, élève dans un triptyque d’images la patate-cœur ratatinée à la magnificence du sacré cœur. En germant ces discrets petits végétaux de rien du tout, rescapés du tournage des Glaneurs et la Glaneuse, étaient apparus à l’artiste comme l’incarnation de la beauté en contrebande. Des photos de trognes végétales racornies entre le minéral et l’organique pour une malicieuse ode à la vie.
Patates et compagnieinfos pratiques
Agnès Varda, Autoportrait morcele, impression sur plexiglas, 2012 ©Agnès Varda
A bientôt 88 printemps, la jeune féministe bourgeonne toujours de sève créative. « Je me mets plus en danger comme artiste visuelle que comme cinéaste. Si on ne prend pas de risques à mon âge, quand les prendra-t-on ? J’ai un projet avec JR avec qui je parcours les petits villages de France. Avec des portraits géants affichées sur les murs, on cherche à créer des moments de contentement pour les gens. C’est un travail éphémère et gratuit. Entre JR et moi, on n’est pas toujours d’accord sur le plan artistique, on a des discussions animées mais je l’adore. »