A MONS,
LES NANAS FONT BAM

Gilles Bechet -

 

Toute en couleurs joyeuses et en rondeurs féminines libérées, l'œuvre de Niki de Saint Phalle est multiple. La très belle rétrospective que nous propose le BAM à Mons dévoile la complexité de cette artiste singulière.
Totems, 2000 (Yelling Man Totem, Bird Head Totem, Cat Head Totem, Kingfisher Totem) (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo Gilles Bechet
Ici, tout est possible, le beau titre de cette rétrospective, traduit la confiance et l’espérance que Niki de Saint Phalle avait pour l’art. Il offre une expérience de reconstruction personnelle apaisant ses fêlures intimes, mais aussi un cadeau à tous. Car c’est dans l’espace public que ses fameuses nanas et ses autres créations rayonnent. Nana-Maison, Nana-Fontaine, cette revanche des femmes, est inventive, joyeuse et radicale. Des femmes surgies du monde des rêves qui en imposent sur le bitume des villes où elles nous invitent au partage, à la méditation, et pourquoi pas à libérer son corps par la danse. Les quatre totems qui se dressent dans le jardin du Beffroi sont les compagnons de ceux que Niki de Saint Phalle a conçus en Californie dans un parc où elle rend hommage aux légendes et à la spiritualité des populations amérindiennes.
Night Experiment (détail), vers 1959 (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo Gilles Bechet
Des objets métalliques, ressorts, clous rouillés, des objets trouvés, éparpillés et figés dans le plâtre comme des pensées confuses dans l’esprit. Ce sont les crêtes coupantes et saillantes du réel qui affleurent sous les doigts. Ces œuvres de la première période de Niki de Saint Phalle participent d’un art thérapeutique dans une période difficile où elle se sent prisonnière de son rôle de mère et d’épouse. La violence libératrice va s’affirmer dans la série des tirs où un tir de carabine fait éclater et saigner sur la toiles des pochettes de couleur. Au cours de ces performances participatives, elle varie ses cibles et convie des amis artistes des deux côtés de l’Atlantique. Ces « assassinats sans victimes » attirent l’attention de médias et contribuent à sa notoriété hors des milieux artistiques.
Vue d’exposition, Frederica (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo Gilles Bechet
Sa première nana est inspirée d’une de ses amies enceinte. Ses premières sculptures sont réalisées en laine, fil de fer et papier mâché, puis elle passe rapidement au polyester peint de couleurs vives, ce qui rend ses nanas plus légères, plus aériennes. Volumineuses, surdimensionnées, elles ne tiennent pas en place. C’est la danse de la vie, l’affirmation du physique de la femme dans la cité. Un cadeau pour toutes les femmes que ce corps à habiter en pensée pour devenir une super héroïne des temps nouveaux. Une super nana pour qui tout devient possible.
Vue d’exposition, Skinnies (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo Gilles Bechet
Une nana sans le volume reste encore une nana. Après une période d’hospitalisation au milieu des années 70, elle aspire à encore plus de légèreté qu’elle trouve dans sa série des  Skinnies. Ces personnages silhouettes, plus uniquement de femmes, qu’elle décrit comme des dessins dans l’espace, sont toujours habillées de couleurs vives, et parées d’ampoules lumineuses mais on peut désormais regarder au travers et voir l’air et l’espace. L’artiste qui a ,un jour, dit être tombée amoureuse du point d’interrogation n’a pas cessé de chercher, de rêver. La collaboration avec son mari Jean Tinguely lui offre d’autres terrains de créations comme Le Cyclope ou le Champignon magique où elle utilise des mosaïques de miroirs pour créer des formes floutées par les reflets de la lumière, porte d’accès à un monde onirique.
La Mort, modèle pour le Jardin des Tarots, 1985-1990 (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo Gilles Bechet
Fascinée par le parc Güel d’Antonio Gaudi à Barcelone, Niki de Saint Phalle rêve d’un parc transformé en un jardin magique pour apporter le rêve et la joie au public et prouver que l’ambition se conjugue aussi au féminin. Sur un vaste terrain qu’elle a acquis en Toscane, elle entame un projet titanesque qui l’occupera vingt années jusqu’à sa mort. Elle crée pour ce jardin 22 sculptures monumentales correspondant aux différentes arcanes du tarot qui expriment la joie, la tristesse, la vie et la mort. L’œuvre est auto financée grâce au produit de la vente d’éditions et de produits dérivés et du parfum créé à son nom. Dans ce parc ouvert sur le ciel et la nature, elle affirme sa foi dans les forces transcendantales de la magie et dans le pouvoir de guérison de l’art.
Could we have loved, 1968 (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved,
Le monde dont elle rêve est un monde d’amour. Une société matriarcale, où les femmes ont le pouvoir, un monde en rupture avec celui trop longtemps dominé par les hommes et où les pères violent leur fille. Les abus sexuels commis par son père et l’indifférence de sa mère l’ont marquée au fer rouge et ont conditionné son œuvre. L’exposition présente aussi deux de ses films Daddy et Un rêve plus long que la nuit, des récits où elle dévoile dans une mise en scène onirique les recoins les plus sombres son enfance et sa quête de l’amour.
Infospratiques
Le Palais (Auberge) 1978 -1979 (c) 2018 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION. All rights reserved, photo NCAF
Sur ses premières toiles, elle a peint des châteaux. Tout au long de sa carrière, elle n’a cessé de construire un autre monde, un monde de rêves à partager. Un monde où l’on trouve refuge. Que ce soit dans des aires de jeux pour enfants, dans des nanas que l’on visite par l’entre-jambe, qui nous accueillent au chaud de leur ventre, ou dans des dragons qui ronronnent comme des gros chats repus. Avec ses grandes œuvres publiques réalisées d’un bout à l’autre du monde, Niki de Saint Phalle offre un art sorti des musées, un espace propice aux rêves. Fragile et ambitieuse, elle a été tout au long de sa carrière une artiste et une femme, irréductible et singulière.