Murs d’art à Charleroi

Gilles Bechet -

Sixe Paredes, rue Tumelraire © Sixe Paredes
Charleroi la noire, Charleroi charbon, Charleroi sociale. Les clichés sont coriaces. Pour une ville en pleine mutation, trop souvent stigmatisée, comment construire un événement artistique ? Sans passé prestigieux, la ville, qui s'est développée avec l'essor industriel du XIXe siècle, dispose de murs à prendre. Ces murs de brique ou de béton offrent un terrain vierge pour les muralistes, artistes d'une culture urbaine émergente issue du graf.
Jusqu’au 26 octobre, Asphalte #1 accueille les travaux de Todd James, Maya Hayuk, Steve Powers, Invader, Sixe Paredes, Hell’O Monsters et Sozyone, Boris Tellegen et Huskmitnav, des artistes révélés par Internet et des peintures aux quatre coins du monde. On voulait créer un parcours lisible pour les gens qui passent sur le ring ou sur les trottoirs du haut en bas de la ville, explique Alice van den Abeele, commissaire de la biennale.
Quelque chose s’est passé, glisse El Nino, un des artistes locaux qui ont assisté les invités internationaux pour dompter les grandes surfaces. Quand on travaille en solitaire, on a un quart d’heure pour s’adapter au lieu. Ici c’était différent. Chaque artiste a réfléchi à son projet et s’est immergé quelques jours dans la ville à la rencontre des habitants. Un jour ou l’autre, il fallait que quelqu’un se rende compte du potentiel de cette ville.
Maya Hayuk, facade de Charleroi Expo rue de l'Ancre © Gilles Bechet
Je suis une optimiste. Je crois vraiment au potentiel humain, déclare Maya Hayuk. L’artiste américaine a réalisé la grande peinture qui couvre la façade de Charleroi Expo.
Je n’ai jamais fait de peinture aussi grande. Quand on m’a confié cette surface, je me suis demandée ce que les gens allaient voir de loin. Je voulais quelque chose de simple, où on distingue immédiatement que ce n’est pas une publicité ou une décoration urbaine.
Maya Hayuk vit et travaille à New York. Elle a commencé par faire de la décoration intérieure et des décors. Ma peinture a changé quand j’ai déménagé à San Francisco, je me suis beaucoup promenée dans la ville. J’ai été influencée par la culture graffiti et par les muralistes mexicains. Mon père était géographe et abonné au « National Geographic ». J’ai passé des heures à regarder les photos des fresques réalisées par les anciennes peuplades.
C’est un travail d’amour avec lequel j’ai envie d’inspirer la joie et le bonheur. J’espère que cela va inciter les gens à penser « out of the box ». Avec les peintures figuratives, le spectateur a déjà un point de départ. J’ai choisi des formes géométriques qui correspondent à la géographie de la ville, au charbon. Après, les gens peuvent décider où ils mènent leur esprit.

Hell’O Monsters, rue de Marchienne © Leslie Artamonow
La joyeuse sarabande d’hommes-oiseaux kaléidoscopée sur un mur de tôle en une myriade de facettes colorées est signée Hell’O Monsters. Habitués des peintures murales en France en Espagne, en Italie, le trio voit la ville comme une galerie à ciel ouvert. C’est gai de travailler en grand. Et c’est intéressant pour un artiste que son travail soit vu en dehors des galeries. Même s’ils n’aiment pas, confie Antoine Detaille, un des membres du collectif.
Brassant des bribes de surréalisme, des visions apaisées de Jérôme Bosch, des réminiscences du folklore d’Europe centrale, le style du ccollectif a évolué depuis leurs débuts dans les années 80, passant des monstres sympas à l’esprit B.D. vers un bestiaire plus détaché. Les choses ont évolué naturellement avec le temps. Notre univers est baigné d’animisme. On aime travailler la dualité entre la nature et les hommes, les plantes et les animaux.
Hell’O Monsters est un collectif. Antoine travaille avec Jérôme Meynen et François Dieltiens. Toutes les œuvres sont signés par le trio sans crise d’ego. Après dix ans de travail, on a chacun nos instruments. Musiciens, on ferait des chansons. Comme on est artistes, on produit des dessins et des peintures. Cela ne nous empêche pas d’avoir des projets en solo comme n’importe quel groupe. Et puis, on aime semer le trouble en formant une unité.

Sozyone, rue de Marchienne © Gilles Bechet
Aujourd’hui établi à Valence, Sozyone Gonzalez était heureux de venir à Charleroi pour Asphalte. Dès le début, j’ai senti que c’était plus qu’une simple peinture murale. D’habitude, quand tu es dans ta nacelle, tu as peu de contacts avec les passants. Ici, les gens du quartier étaient contents. Ils venaient me parler, me proposer de boire un coup. J’avais l’impression de peindre chez eux. Comme si j’étais un décorateur dans leur salon.
Les personnages qui ornent les deux peintures sont inspirés par des artistes du mouvement futuriste italien. Tous mes personnages ont une histoire. Je choisis souvent des gens de la marge, des voleurs, des anarchistes. J’ai une certaine nostalgie d’une époque où le futur était celui des voitures volantes. Quand on voit ce qu’on a autour de nous, on est comme déçu. Ici ils sont à leur place. Je voulais emprunter au passé la capacité à rêver.
Sur le mur de Sozyone, comme sur celui des Hell’O Monsters qui lui fait face, apparaît un petit oiseau coloré. Une coïncidence, un hommage ? Le moineau fait partie de mon univers. J’aime travailler avec ce genre d’images depuis que je suis petit. L’oiseau, c’est la liberté de pouvoir aller où on veut. Avec les Monsters, je me sens en bonne compagnie dans ce quartier. Mettre un peu de poésie sur les murs, c’est montrer du respect aux gens qui vivent ici.

Maya Hayuk, Todd James, Steve Powers, Poch, HuskMitNavn, Sozyone Gonzalez, Invader, Hell’O Monsters, Parra, Boris Tellegen, Sixe Paredes, Escif, les artistes présents à la biennale Asphalte et quelques autres proposent des oeuvres sur papier.

 

Just Before Brazil, Alice Gallery, 4 rue du Pays de Liège, 1000 Bruxelles, Belgique. T. +32 2 513 33 07.
Jusqu’au 27 juin 2014, du mercredi au samedi de 14 h à 18 h.