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Journal, Franz Kafka, Ed. Poche, 674 pages, 9,60 €

Pensée de la semaine
Kafka à l’eau

Simon Brunfaut -

Le 2 août 1914, à Prague, Franz Kafka (un assureur avec un nom d’oiseau et un long corps de lévrier afghan) ouvre les yeux et prend soin de se lever en deux temps, car il est précis comme un horloger suisse. Il s’habille et effectue quelques pas derrière une ombre qui fait trois fois sa taille. Il ressemble à un frêle bucheron portant un sapin de la Forêt Noire sur ses épaules. La journée est chaude, ensoleillée. Les taupes prennent le frais six pieds sous terre. Les cafards ont le vent en poupe.

Kafka n’est pas au mieux de sa forme. Il s’est séparé de sa fiancée. À part çà, la guerre vient d’éclater. L’Europe se sent mal elle aussi. Elle va bientôt s’abîmer dans une grande mare de sang au goût de moutarde. Cependant, Kafka a d’autres chats à fouetter. Il s’installe à une terrasse et commande une rondelle de citron. Il n’est maintenant plus que l’ombre de lui-même. Son nom rétrécit à mesure qu’il respire. Avec son regard de corbeau hitchcockien, il fixe l’horizon et reste aussi silencieux qu’un château abandonné, pendant que son sourcil droit monte et descend sur un tempo très lent. À propos  des hordes de buses guerrières qui s’envolent vers le front, il écrit dans son « Journal » :

 

L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine.

 

Par ces temps de chaleurs estivales, on pourra en effet apprécier à sa juste valeur cette sage remarque en rappelant au lecteur de ne pas oublier de s’hydrater régulièrement, de ne pas manquer de tremper chaque partie de son squelette dans la flaque d’eau la plus proche, tout en laissant les rares possesseurs de vêtements antitranspirants faire la guerre en plein soleil s’ils le veulent, au risque de récolter quelques rougeurs sur le bout du nez.

 

Journal, Franz Kafka, Poche, 674 pages, 9,60 €