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Correspondance, Marcel Proust, Flammarion, 9€

Pensée de la semaine
Proust à la Bourse

Simon Brunfaut -

Le samedi 24 octobre 1908, Marcel Proust pense qu’il va réaliser un gros coup boursier. Ce serait bien la première fois. En effet, en cette matière, l’écrivain est aussi doué que Gaston Lagaffe et Pierre Richard réunis dans un magasin de porcelaine chinoise pour tourner un film sur le Kung-fu. Que fait-on lorsqu’on est un écrivain de génie et qu’on n’écrit pas ? On joue au casino, on regarde, sans en comprendre les règles, des gens qui jouent au golf et on perd de l’argent en Bourse. Proust se pique de spéculation. Il demande conseil de tous les côtés et, comme toute personne un peu sérieuse, n’écoute que lui. Résultat : ses décisions sont désastreuses et sa fortune se réduit comme une peau de chagrin. La bourse, sous sa plume, devient un grand livre d’images où les industries minières font autant rêver que le nom d’une princesse avec une petite suite de particules. Une action est prometteuse lorsqu’elle possède un beau nom très évocateur. Ainsi, Proust invente le voyage par actions interposées : il part en Afrique, en Amérique du Sud et en Océanie sans quitter sa chambre. Il écrit à un ami :

 

À l’heure qu’il est, mon esprit subtil que le roulis caresse voyage entre les mines d’or d’Australie et le chemin de fer du Tanganyka et se posera sur quelque mine d’or qui j’espère méritera vraiment son nom.

 

En ces temps de crises financières répétées et de tensions sur les marchés, on saura apprécier ce morceau de poésie boursière à sa juste valeur en rappelant au lecteur d’écrire tous les jeudis, en lettres d’or, des mots d’amour à son banquier, de prendre des billets pour des tapis volants et des pièces de monnaie pour des verres de lunettes astronomiques, tout en laissant les autres oublier que l’argent n’existe pas, sinon dans le coeur d’un financier sentimental ou dans le rêve d’un Grec dont le pantalon craque et tombe en accordéon.

 

Correspondance de Marcel Proust, Flammarion, 9 €