Venise sans frontières

Gilles Bechet -

À la Biennale de Venise, cette année, l’actualité belge est double. Dans le pavillon national, l’artiste Vincent Meesen et la curatrice Katerina Gregos ont invité dix artistes des quatre coins du monde à s’interroger sur l’émergence d’un art mondialisé dans un monde post-colonial. Tandis que sur l’île du Giudecca, le collectionneur Walter Vanhaerents expose pour la première fois quelques pièces de sa collection hors de nos frontières.

 

Vincent Meessen, One.Two.Three., Three channels video, 2015, Courtesy the artist and Normal ©DR
Tout commence par une chanson. Écrite en 1968 en langue kikongo par l’ancien étudiant situationniste M’Belolo Ya M’Piku, elle n’avait jamais été jouée ni chantée. Vincent Meesen l’a emportée à Kinshasa pour la faire enregistrer par un groupe féminin dans un des clubs mythiques de la rumba congolaise. Autour de cette installation filmique et musicale, Meesen, comme les autres artistes invités, s’intéressent à quelques anecdotes et micro-histoires oubliées pour révéler et interroger l’héritage des rencontres artistiques et intellectuelles entre l’Afrique et l’Europe.

 

Cette relecture de l’Histoire avec un regard artistique et non historique tisse une polyphonie de regards, de subjectivités tantôt analytique, tantôt sémantique sur la globalisation, la modernité ou encore le rapport entre pouvoir et savoir. Avec ses douze photographies assemblées comme un tissu à damier, Sammy Baloji enquête sur les méthodes de ségrégation à partir des relations indirectes entre l’urbanisme et la médecine tropicale.

 

Tamar Guimarães est né au Brésil, Kasper Akhøj au Danemark. Ensemble, ils se sont intéressés à l’héritage du premier peintre moderniste africain Ernest Mancoba, seul membre africain de Cobra, pour revisiter nos points de vue sur le primitivisme. Paul Panda Farnana a été le premier Congolais à suivre des études supérieures en Belgique au début du vingtième siècle. Peut-être a-t-il emprunté la ligne de tramway 44 voulue par Léopold II pour accéder à Tervuren. Elisabetta Benassi a sondé ce possible en lui rendant hommage avec son abri de tram fantôme réalisé à partir de moulages d’os d’animaux sauvages conservés au Musée royal de l’Afrique centrale.

 

Personne et les autres, Vincent Meesen, Pavillon belge, 56e Biennale de Venise, jusqu’au 22/11/2015 www.belgianpavilion.be

 

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Comme à son habitude, Walter Vanhaerents a choisi une chanson pour donner un titre à l’une des ses expositions où il donne à voir quelques-unes des œuvres rassemblées dans sa collection. Et c’est sous l’enseigne de l’hôtel des cœurs brisés, empruntée à Elvis, qu’il quitte les murs de sa fondation bruxelloise pour exposer pour la première fois à l’étranger. Lors de ses précédentes visites à la Biennale, il s’était dit: Lorsque j’exposerai à Venise, ce sera à Giudecca. Sur cette île où les riches familles vénitiennes dissidentes étaient exilées flotte encore un esprit de liberté à l’écart de l’agitation des Giardini.

 

C’est le collectionneur rouge au pied de bouc de Katharina Fritsch qui accueille le visiteur, tel un diable sorti de sa boîte pour arbitrer la joute globalisante entre passion et spéculation. Les 14 œuvres monumentales sélectionnées ont été structurées autour de 4 vidéos de Bill Viola. Avec lui, Sam Falls, Matthew Day Jackson, Bruce Nauman, Ugo Rondinone, Markus Schinwald, Cindy Sherman, Yinka Shonibare, Lucien Smith, Nick van Woert, Joana Vasconcelos et Andy Warhol se partagent la mélancolie, la colère rentrée et le froid constat d’un monde imparfait.
HeartbreakHotel
Collectionneur à l’ancienne, Walter Vanhaerents s’engage totalement dans chacune de ces œuvres qui sont devenues siennes. Il n’a a jamais eu de conseiller. Chaque acquisition est presque une nécessité, le début d’un dialogue dont le mystère ne s’épuise jamais reste insondable. «Je viens d’une période où collectionner de l’art revenait à perdre de l’argent, même si on avait beaucoup à gagner». Collectionner, c’est pour lui avoir les yeux ouverts sur l’extérieur, sur le monde qui se fait. «Je n’ai aucun souvenir de mon enfance. Tout le passé est comme dans un brouillard. J’ai toujours privilégié des œuvres contemporaines que les artistes venaient de réaliser. Je vis dans le présent et je regarde vers le futur».