end header
©Matali Crasset
©Matali Crasset
©Matali Crasset

Design spirituel
Matali Crasset

Simon Brunfaut -

 

La pièce ressemble à un souterrain avec une faible raie de lumière sur la droite. Une jeune dame se tient sur la gauche ; elle semble vérifier le bon déroulement de l’expérience. Au bout, apparaît maintenant, à la façon d’un intercesseur, d’une grande prêtresse, Matali Crasset : elle dirige un orchestre d’étoiles et d’astres en tout genre. Vous baladez votre regard sur la voute céleste, en posant les pieds sur des technologies complexes et des tricots de câbles. L’ « humanité augmentée » n’a plus de secret pour vous, votre vitesse avoisine celle d’un navette spatiale en perdition. Vous êtes littéralement en apesanteur, balancé à un fil, entre le passé, cette « trame ancestrale », et le futur, un écheveau qui se déroule.

Les voies de Matali Crasset sont plus que probablement impénétrables. En revanche, sa voix est claire et distincte. Son projet aussi : « il faut casser les codes de l’organisation de l’espace intérieur ». Elle y parvient : l’espace lévite, et vous avec. Matali Crasset n’oublie rien. Elle s’y essaye en tout cas, et de toutes ses forces. Elle évoque discrètement sa filiation : elle est fille d’agriculteurs. L’agriculture, vous y pensez à présent, est le sens originel de la culture. Est-ce un hasard ? Matali Crasset croit en Mnémosyne, cette déesse de la mythologie grecque, qui était fille du ciel et de la terre. C’est pourquoi elle produit d’étranges installations dédiées à la réactivation du souvenir et à la plongée dans l’introspection. Marcel Proust utilisait des panneaux en liège pour y parvenir. On voit poindre ici un refus manifeste du fonctionnel pour se concentrer sur la manière avec laquelle le design confine au spirituel. « Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas. » Malraux avait raison. Matali Crasset assume pleinement la caractère interdisciplinaire du designer contemporain en prenant acte de la révolution numérique.

Ses objets sont tous tournés vers l’intérieur. Ils sont comme extraits de l’extériorité à laquelle ils n’appartiennent plus qu’en apparence. Ils sont nus. Ils cherchent presque à disparaître en tant qu’objet. Ils s’approchent de l’immatérialité ; ils se décomposent aux dépens de leur structure. Ce design sert entièrement de déclencheur d’effets en agissant sur les corps. Ce qui n’est pas sans compter une part de rituel qui vous fait croire à la théorie des vases communicants et percevoir la porosité entre les êtres. A l’heure où le design semble parfois céder excessivement à la fascination du vintage et aux parfums du suranné, Matali Crasset affronte ce défi immense de la transmission. Ses objets ne ressemblent à aucun autre, car ils portent la marque invisible et imperceptible de nos vies. La voilà qui repart maintenant, de toute façon vous ne l’aviez pas vu venir.

Matali Crasset , la « Trame Ancestrale »
Galerie de la Senne, Rue de la Senne, 19, 1000 Bruxelles
Heures et dates d’ouvertures : du 09 au  20/09, mer – dim 13h – 18h

 

Suivez sur Bazar le Carnet Découverte de Simon Brunfaut. Notre choniqueur philosophique déambule au fil de Brussels Design September, jusqu’au 30 septembre Premier arrêt sur images ce samedi : visite de l’univers de Matali Crasset.