Les murs de Philippe Cognée

Gilles Bechet -

Depuis plus de vingt ans, l'artiste français Philippe Cognée se saisit de non-sujets : autoroutes, centres commerciaux, zonings industriels, rayonnages de supermarchés, pour faire parler et vibrer la peinture.
Extrait, Goch (Elément 2/7 de «Puzzle»), 2014 Peinture à la cire sur toile / wax painting on canvas 85 x 110 cm

Pour « Territoires », la dernière série qu’il présente à la galerie Daniel Templon, le peintre nantais s’inspire d’images captées par Google Street View dans les banlieues de Chicago, Mexico et autres mégapoles. Depuis mes débuts, je m’intéresse à des sujets qui n’étaient pas représentés dans la peinture. Je ne fais que reprendre des choses qui existent mais auxquelles on ne prête pas attention. Ces maisons de banlieue sont celles qu’on regarde distraitement par la fenêtre du taxi qui nous emmène de l’aéroport vers l’hôtel.

 

Extrait, Maison à la porte bleue, 2014 Peinture à la cire sur toile / wax painting on canvas 153 x 153 cm

Les vues sont presque toujours frontales, à fleur de briques, de béton ou de tags. Mais il y a des zones d’ombre. Une porte de garage ouverte, un interstice entre deux maisons. Plus qu’un trou, un vide, c’est un univers où tout est possible. Je cherche des maisons qui ont du caractère, un peu comme un masque. Mais elles ne doivent pas être trop parfaites, trop finies, sinon on ne se raconte plus d’histoires. J’offre aux gens des images dans lesquelles ils peuvent se projeter.

 

Extrait, Pas de porte à vendre à Charleroi, 2014 Peinture à la cire sur toile / wax painting on canvas 153 x 153 cm

À l’image de la vie qui a laissé des traces, certaines toiles sont assez colorées. Des bleus, des jaunes, des rouges brique qui ne sont pas sans rappeler Vermeer et sa ruelle. C’est la qualité de la peinture qui l’emporte. Dans la couleur, il y a une jubilation, parfois de la mélancolie. C’est pour ça que j’aime tellement Rembrandt et Velasquez. C’est la sensibilité du geste, de la touche qui fait qu’au-delà de la représentation, c’est la peinture qui reste.

Bazar philosophiqueDescendu du ciel
Extrait, Foule au crépuscule, 2014 Peinture à la cire sur toile / wax painting on canvas 153 x 200 cm

À l’opposé des façades vides sans présence humaine, il peint aussi des foules sans visages, anonymes, éparpillées comme sur des paysages lunaires. Pendant ma jeunesse, j’ai vécu quelques années au Bénin où il y avait ces fourmilières. Qui ne s’est pas amusé à les détruire d’un coup de pied pour voir les fourmis se disperser dans tous les sens ? Les foules que je peins sont un peu comme ça, elles se dépêchent mais elles ne savent pas où elles vont.

Mégapolesexposées
Exrait, Maison à Brasilia I, 2013 Extrait, Peinture à la cire sur toile / wax painting on canvas 153 x 225 cm

Il pratique une peinture à la cire, une pâte épaisse qu’il écrase sur la toile pour ensuite la chauffer au fer à repasser. Sous sa surface lisse satinée, l’image gagne une texture à la limite de la désagrégation et en même temps vibrant d’une lumière propre. Les couleurs semblent parfois se dilater comme dans une vieille cassette VHS. La matière picturale ne couvre pas entièrement la toile pour laisser apparaître de petits blancs dans l’histoire. La peinture est un sucre lent. C’est une alchimie dont le résultat définitif se crée dans l’instant sur la toile et qui ne correspond jamais à l’image que l’on avait en tête.