Or blanc en Inde
le coton autrement

Philippe Berkenbaum -

Parce qu’il consomme à lui seul 1% de la production mondiale de coton pour ses meubles et textiles, Ikea a décidé d’en rendre la filière plus durable. Objectif : réduire la consommation d’eau et de produits chimiques tout en améliorant les conditions de vie des cultivateurs. En Inde, plus de 300.000 fermiers sont déjà concernés. Reportage in the cotton fields par Philippe Berkenbaum.Episode #1.

 

 

 

©Ikea - K. Balashov

 

Or blanc

De près ou de loin, 60 millions d’Indiens sont impliqués dans le travail du coton, qui représente l’une des principales ressources du sous-continent. Et l’un de ses principaux biens d’exportation, comme matière première ou comme produit fini. Certains l’appellent « l’or blanc de l’Inde ». Mais c’est de l’or qui coûte cher à la terre et à ses habitants. La culture de cette fibre exige d’énormes quantités d’eau, de pesticides et de fertilisants, d’où un impact très négatif sur l’environnement et la santé humaine  regrette le WWF en Inde. D’autant que le coton est souvent cultivé dans des régions où l’eau est rare et donc sous pression.

 

 

 

©Ikea - K. Balashov
Le cotonen chiffres
Des rivières, des fleuves voient leurs cours détournés au profit d’une ressource qui finit par les assécher. Parmi les gros consommateurs ne figurent pas seulement les principaux fabricants de la planète mode. A lui seul, le pape suédois du meuble en kit en utilise 1% de la production mondiale pour ses meubles et ses produits textiles : literie, nappes, rideaux, tapis, coussins et autres serviettes de bain. Mû sans doute par la préoccupation écologique qui commençait à s’emparer de la planète conso au début des années 2000, Ikea commanda alors une étude sur la filière coton.  Ses résultats furent sans appel, résume Pramod Singh, le Mr Coton du géant d’Älmhult. Usage excessif d’eau et de produits chimiques, marges réduites des agriculteurs, conditions de travail indécentes… Nous devions faire quelque chose.

 

 

 

Better cotton initiative

Fort de sa collaboration avec le WWF sur la protection des forêts dans le monde, Ikea s’est associé avec cette ONG incontestable et d’autres pour cofonder le programme international Better Cotton Initiative, qui vise à transformer le marché du coton pour le rendre plus durable. Deux projets pilotes ont été lancés par les trois partenaires dès 2005 en Inde et au Pakistan pour diffuser les bonnes pratiques du BCI auprès des agriculteurs, avec l’aide d’ONG locales actives sur le terrain. En Inde, la première année, 47 cultivateurs ont été impliqués. Ils sont aujourd’hui plus de 300.000 (chiffres BCI). Et selon les données du WWF pour 2014, l’utilisation de pesticides à diminué de 49%, celle d’engrais de 26%, celle d’eau de 9% alors que la production augmentait, elle, de 25,5%.

 

 

©Ikea - K. Balashov

 

 

©Ikea - K. Balashov
BCIMode d'emploi
De son côté, Ikea affirme que depuis le 1er septembre 2015, 100% du coton qu’il utilise  provient de sources plus durables. C’est-à-dire basées sur des pratiques qui minimisent l’usage de pesticides et de fertilisants, améliorent les conditions de travail et les revenus des agriculteurs et permettent d’augmenter la biodiversité , résume Pramod Singh. Mieux : fin 2016, le label BCI couvrait déjà 12% de la production mondiale. Car l’initiative conjointe du géant suédois et du WWF a convaincu d’autres grandes marques de s’y intéresser. Selon Pramod Singh, elles sont désormais 55, dans le monde, à avoir rejoint le projet. Dont des enseignes de premier plan comme H&M ou Marks & Spencer. L’objectif est désormais d’atteindre 30% de la production mondiale et 5 millions d’agriculteurs à l’horizon 2020-2025.

 

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Samadan ©PhilBerki

 

De la méfiance à l’enthousiasme

Avec ses 3000 habitants, Wakhari est un petit village à l’échelle du pays et de l’Etat du Maharashtra, le deuxième plus peuplé d’Inde avec une population estimée à 112 millions de personnes. Il est situé dans le district de Jalna, près de la grande ville d’Aurangabad. Ici, tout le monde ou presque est agriculteur – même l’instituteur Sandeep Salcharam, qui nous guide dans un dédale de ruelles sous les yeux étonnés des villageois peu habitués à voir défiler des étrangers. Il nous conduit dans une petite maison où nous rejoignons une vingtaine de fermiers assis à même le sol de terre battue. Tous ont adopté le programme BCI, les uns depuis 2011, d’autres tout récemment.

 

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IKEA?Connais pas!
Coton ©PhilBerki
Baliram, par exemple, reconnaît sa méfiance des débuts.  Je ne croyais pas ce que nous disait le facilitateur du programme. Comment pouvait-on augmenter le rendement du coton en utilisant moins d’eau et de fertilisants ? Comment lutter contre les parasites sans pesticides ? Je dois reconnaître que je me trompais. Tout ceux qui sont passés au BCI ont amélioré leur production. Je viens de m’y mettre aussi.  Pas facile de les convaincre de changer leurs habitudes, confirme ledit facilitateur Sachin Kolhe, employé par un organisme public local pour former les agriculteurs aux techniques du BCI sur le terrain. Nous avons dû faire des démonstrations sur des morceaux de terrain pour qu’ils puissent juger des résultats avant de pouvoir étendre les nouvelles techniques à de plus grandes surfaces. Mais ça été payant. Ici, sur 400 exploitations, 260 passées au BCI. Et ceux qui l’ont fait on vu leurs revenus augmenter, malgré la sécheresse de ces trois dernières années.