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© Extrait de «Vue de Venise» (Le Palais des Doges), 1881, Pierre Auguste Renoir

Carte postale de Venise

Simon Brunfaut -

Divagations d’un chroniqueur philosophe en vacances

 

•    On peut aller à Venise à pied, à vélo, en avion, en voiture, à cheval, à dos d’âne, en hélicoptère ou en navette spatiale (pour ceux qui habitent vraiment très loin et qui ont les moyens).
•    Venise est une grande église au bord d’une plage. Le rêve pour un moine cistercien en burn-out ou un hédoniste saisi par le doute. Toutefois, Tadzio a vieilli, le Grand Hôtel des Bains du Lido a définitivement fermé et Luchino Visconti est mort depuis trop longtemps.
•    Chez Florian, on peut prendre une douzaine de cafés sans même se rendre compte qu’on vient d’en ingurgiter une douzaine, il y a à peine cinq minutes. À défaut de redevenir poussière, on se liquéfie gaiement à Venise en observant le Campanile battre la place SaintMarc comme un pilon.
•    Au Harry’s bar, les palais se brouillent : c’est Turner, tout d’un coup. Venise tremble, mais ne sombre pas.
•    Nietzsche chantonnait Bizet en se promenant à travers ses ruelles, tandis que sa moustache s’humectait légèrement. Wagner y est mort, Stravinsky se repose dans le cimetière San Michele. C’est la raison pour laquelle Venise est entièrement musicale. On s’y repère grâce à son air. Laissez tomber tous les livres, suivez plutôt un largo ou un adagio le long du Grand Canal et sur le Pont des Soupirs. À Venise, les guides s’appellent tous Vivaldi ou Monteverdi.
•    Venise est grise, bleue, verte dans les jardins Papadopoli. Les touristes sont roses et jaunes. Ils portent des shorts, mais ils ne sont pas méchants tant qu’ils ont à manger et à boire.
•    Venise est très contemporaine et toujours à la mode. La preuve : elle apparaît sur TripAdvisor. De grands Suédois à la peau caramel y réalisent des selfies avec de petites Japonaises masquées. Lord Byron, qui séjourna au Palazzo Mocenigo, possède maintenant son propre hôtel. Voilà quelqu’un qui a su se recycler avec succès.
•    Rousseau y demeura et joua de malchance avec les femmes. Montaigne y eut des coliques. Musset y  souffrit d’amour : sa compagne s’appelait George.
•    On peut décider de ne jamais mettre les pieds à Venise en prenant des trains en direction d’Arlon, tout en écoutant Sheila et Ringo ou Hervé Vilard. On peut aussi, comme Laurent d’Ursel, installer Venise à Woluwe-Saint-Lambert. Cette ville ne tient pas en place.
•    Il est très agréable d’y mourir ou d’y faire l’amour. Parfois les deux en même temps, lorsqu’on est pressé et que le « Bongo Citytrips en amoureux » s’achève dans moins de trois heures.