CARL DE KEYZER
DERRIÈRE LES PAYSAGES

Gilles Bechet -

La terre se réchauffe. Et nous là dedans ? Loin des arides rapports scientifiques, le photographe belge Carl De Keyzer s’est essayé à imaginer comment le réchauffement climatique affecterait les paysages et donc nos vies. Dans ses deux projets exposés au Botanique, Moments before the flood et Higher Ground, il s’intéresse aux rivages menacés de disparition et aux sommets, nouvel Eldorado des futurs réfugiés climatiques.
© Carl De Keyzer - Moments before the flood - Dublin Ireland – 2012
L’Europe compte 125.000 km de côtes que Carl De Keyzer a parcourus pendant 18 mois. Il en a ramené des images de plages, de rochers, de brises-lames, de routes, et de constructions avec des gens qui vaquent à leurs occupations. Jusqu’ici tout va bien. Quand j’étais enfant, la mer c’était les vacances et l’insouciance, mais depuis 2006 avec le film d’Al Gore et tous ces articles sur la fin du monde, j’ai commencé à regarder la mer avec un œil différent. Comme une menace. Maintenant la nature, l’eau même sont devenus notre nouvel ennemi.
© Carl De Keyzer - Moments before the flood - Thames Estuary UK – 2009
La photographie, c’est le réel, mais la réalité n’est pas une fin en soi, elle peut aussi être le support de l’imagination. C’est ainsi que le photographe Carl De Keyzer conçoit son métier. Le réchauffement climatique est une fiction pour certains, une réalité très concrète pour d’autres. Ce que je fais très souvent, c’est partir d’une actualité pour jouer avec. Même si je suis membre de l’agence Magnum beaucoup de mes projets se situent dans la fiction, dans l’exagération.
© Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016
Carl De Keyzer a arpenté différents sommets européens sans beaucoup d’autres bagages que les souvenirs de peintures romantiques comme celles de Caspar Friedrich où c’est le paysage qui est le personnage. Mes photos ont été prises avec des appareils à très haute résolution. Je voulais obtenir cette précision du détail qu’on a dans la peinture. Cette approche hyperréaliste donne en un certain sens un effet d’irréalité qui renforce la sensation de menace.
SOUVENIRS DE MONTAGNELe LIVRE
© Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016
Erich von Däniken est un auteur suisse, populaire dans les années 70 et 80 qui a écrit plusieurs ouvrages pour démontrer que l’humanité a été guidée par de grands anciens extraterrestres. Il a créé à Interlaken, au pied de la Jungfrau un parc à thème qui illustre ses théories. Pour l’instant plus personne ne visite ce musée, qui existe depuis 30 ou 40 ans, mais pour moi, c’était le symbole parfait de l’entrée du nouveau monde. On entre par la caisse on prend le téléférique et on monte vers les sommets. Il y a pas mal d’ironie et d’humour dans mes images.
© Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016
Chaque image ajoute un élément du puzzle de cette nouvelle société. On a de nouvelles maisons, de nouveaux restaurants, de nouveaux moyens de transport, et aussi une nouvelle église. On ne regarde pas les montagnes, ce n’est pas du National Geographic. Même si de temps en temps je joue avec ce genre d’esthétique un peu cliché, c’est pour distiller cette inquiétante étrangeté chère aux peintres romantiques tout en introduisant la probabilité d’une apocalypse.
© Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016
Les photos de foule ont ceci de particulier, c’est qu’elles multiplient les parcours les intentions indéchiffrables. C’est le même ciel pour tout le monde, mais il est unique pour chacun. En regardant ces images avec l’apocalypse en tête, on essaie de décrypter la faille, le moment où cette harmonie va se lézarder. Mais si finalement l’humanité arrivait à s’entendre dans son Shangri-La ? Si jamais, l’eau montait tellement qu’elle nous oblige à nous s’enfuir vers les montagnes, ce ne sera pas aussi beau et tranquille. Ce sera le chaos total. On va se tuer pour avoir un endroit à soi. Mais ces images sont de la fiction et dans la fiction, on peut tout se permettre.
INFOSPRATIQUES
© Carl De Keyzer - Higher Ground - 2016
Au sommet, on goûte la fin comme nulle part ailleurs. Mais on peut prendre son temps parce que là-haut le temps n’est plus le même. Sans doute les minutes sont-elles engourdies par le froid. Une fois que le point le plus haut est atteint, on ne peut que redescendre et quand on ne peut pas ou plus redescendre, on se repose. Même si on est une reine. Dans cette nouvelle société qui succèdera au monde inondé, pourquoi n’essaierait-on pas de confier le pouvoir aux enfants ?