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Christo
Interview Long Format

Gilles Bechet -

Curieux et Pétillant, Christo enchaine les interviews comme une rockstar. Venu à Bruxelles pour inaugurer l’exposition Urban Projects, il a consacré une partie de son temps à la presse. L’artiste aime se raconter et parler de ce qui lui tient à cœur, ses grands projets. Et même si l’exposition y fait largement écho, il insiste pour ne pas être considéré comme l’artiste qui emballe les monuments. Son œuvre va, en effet, bien plus loin que ça.

 

En Europe où il a réalisé ses empaquetages les plus emblématiques, le Pont-Neuf, le Reichstag, son nom se confond avec des bâches de polypropylène tendues sur de vénérables édifices. Sur le nouveau monde, la perception est sans doute différente. Il y a eu Valley Curtain, vaste rideau de tissu nylon orange tendu entre deux montagnes du Colorado, Running Fence, la barrière de tissu qui traverse sur 39,4 kilomètres les comtés de Sonoma et Marin en Californie ou encore les 3100 parasols de The Umbrellas, déployés simultanément à Ibaraki au Japon et en Californie. Autant d’interventions grandioses et éphémères pour transformer le paysage qui ont marqué durablement la population et les médias.

 

Entretien, en tête à tête, accordé à Bazar

Dans vos premiers travaux, les emballages semblent d’avantage cacher et dissimuler alors que dans des grands projets comme le Reichstag ou le Pont-Neuf, l’emballage paraît plutôt révéler la forme.

C’est votre impression. A vrai dire, je ne sais pas. Dans mes projets emballés comme la côte australienne, le Kunsthalle à Berne, le Reichstag et le Pont-Neuf, ce qui est important, c’est l’utilisation d’un tissu comme élément principal pour traduire le caractère nomade. Nous utilisons d’autres matériaux comme de l’acier, des câbles et des cordes, mais le tissu est un élément qui peut être déployé très rapidement sous différentes formes. Pour ma part, je n’y vois pas de dissimulation mais plutôt la révélation de la fragilité et du caractère éphémère d’un travail qui aura disparu après quelques jours comme le campement que les tribus nomades établissent en une nuit et qu’ils démontent après une ou deux semaines.

 

Le dessin a une place majeure dans votre travail, c’est un outil de communication et un guide pour la réalité ?

J’adore dessiner, j’ai eu une formation artistique classique et je dessine tout le temps. Les dessins sont habituels pour les architectes et les constructeurs. Ils dessinent des sujets évidents, montrer à quoi un pont ou un bâtiment ressemblera. Tous ces dessins sont réalisés avec un outil très simple, un crayon. Certaines œuvres sont des collages parfois sophistiqués mais chaque projet est unique et on ne peut jamais décider à l’avance comment il sera réalisé et le dessin en reflète les différentes étapes. Tous les projets passent par un long processus qui détermine comment les choses vont se passer, notamment en fonction des matériaux utilisés. Pour les choisir, on ne peut rester dans le studio. On a besoin de passer par des essais grandeur nature, c’est-à-dire dans un endroit similaire avec le vent, le soleil et l’eau. Il y a tellement de tissus possibles, tellement de matériaux et d’éléments à discuter avec les ingénieurs, ce qui rend impossible une décision à l’avance.

Voila pourquoi un dessin reflète d’abord l’évolution d’un projet. Dans tous les projets comme le Pont-Neuf, le Reichstag ou The Gates, les premiers dessins sont très schématiques, les couleurs ne sont pas les bonnes, pas plus que le type de piliers, tout cela fait partie de la « cristallisation » du projet. Les décisions sont prises à l’issue de tests grandeur nature menés dans un endroit secret qu’on a dû louer. Dans le cas de Central Park, par exemple, on a construit un véritable chemin, de vrais portails avec du vrai tissu pour voir comment tout ça bouge avec le vent, sous la pluie ou au soleil. Les ingénieurs doivent nous aider à prendre des centaines de décisions. Jamais je ne fais un dessin du projet une fois qu’il est terminé. Ils sont tous faits avant. Ça veut dire que les dessins préparatoires pour le Reichstag, qui ont été réalisés sur une période de 25 ans, intègrent toute une série de références. Le tissu est passé du blanc à l’argenté, les cordes sont de devenues bleues.

 

Les dessins sont des œuvres en soi ?

Bien sur qu’elles le sont. Je dois vendre ces dessins parce que sans argent on ne peut pas construire de projet. Ces dessins ont de la valeur, ils sont appréciés par le marché et les collectionneurs pour des raisons parfois très variables.

 

Il y a aussi des variations de cadrage, comme dans The Gates ?

J’adore dessiner et j’adapte les dessins au contexte. Pour The Gates, la verticalité était importante, à Central Park comme elle l’est à New York. Les dessins reflètent ça. Il y a de nombreux aspects du projet qui sont incorporés dans le dessin. Dans le cas du Reichstag, c’est un dessin de deux mètres cinquante où le bâtiment massif du Reichstag occupe presque tout l’espace. On voit aussi sur certains dessins la présence du Mur qui sera abattu par la suite.

 

Après une préparation aussi longue et précise avec les ingénieurs, l’aboutissement du projet est-il d’abord un soulagement ou bien est-il toujours source d’émerveillements et d’inattendu ?

Aucun dessin ne pourra jamais correspondre au réel. Le projet réalisé est au-delà de la perception, si complexe, si unique, si riche. On ne peut jamais le reproduire à l’avance, que ce soit dans un dessin ou dans une maquette. Le réel est toujours incroyable. The Gates, par exemple, était un projet d’hiver parce qu’on voit mieux les portails à travers des arbres quand ils n’ont plus de feuilles. On a rêvé d’avoir de la neige et cela s’est produit deux fois. C’était absolument incroyable de voir les portails avec le tissu, les arbres et les promeneurs dans le paysage enneigé de Central Park. J’ai fait très peu de dessins sous la neige parce que Jeanne-Claude ne pensait pas qu’on aurait pu avoir de la neige sur ces seize jours.

 

Dans votre équipe avec Jeanne-Claude, y avait-il une répartition du travail, avait-elle un rôle spécifique ?

Jeanne-Claude était une personne très critique qui me manque à chaque instant. Elle voyait toujours les points faibles et pouvait l’expliquer de manière très argumentée. Aujourd’hui quand un problème se pose, je demande encore à mes amis et collaborateurs qu’aurait pu dire Jeanne-Claude ?

 

Le Mastaba à Abou Dabi est le plus important des projets en cours, et il collectionne les superlatifs ?

Effectivement, c’est plus grand que la pyramide de Khéops. La base du Mastaba a la taille de la place Saint Pierre. Bien sûr, il n’y a pas que la sculpture, nous avons prévu un espace de seize kilomètres carré autour de la construction. On se trouve dans un des plus beaux déserts du monde dans un coin épargné entre les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. On y trouve de hautes dunes qui ne bougent pas, presque comme une montagne. La faune et la végétation y sont exceptionnelles. C’est un paysage spectaculaire d’une beauté incroyable qu’on voudrait réserver au Mastaba en empêchant toute construction dans un rayon de quatre kilomètres.

Ce sera votre premier projet permanent d’envergure ?

Oui, cela durera comme la Tour Eiffel. En fait, je réalise beaucoup de projets permanents parce qu’il faut financer nos projets. J’en ai vendu pas mal. Des petites sculptures avec des barils et aussi de plus grandes installations en barils comme celle qui se trouve au Kröller Müller à Otterlo. Le Mastaba est un projet très complexe, s’il est construit, rien au monde ne lui sera comparable. Pas un gratte-ciel, pas un pont ou une maison ne sont construits de cette façon. C’est une structure complètement innovante conçue avec l’aide de professeurs des universités de Tokyo et de Berlin.

 

Christo and Jeanne-Claude. Urban Projects

25.10.17 > 25.02.18

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