LA VILLE DÉVOILÉE
PAR CHRISTO ET JEANNE-CLAUDE

Gilles Bechet -

Un immeuble monumental garrotté et emballé, du tissus coloré qui flotte au vent ou sur la surface de l’eau, tout le monde ou presque a en tête une image de l'œuvre de Christo. Avec Urban Projects l’ING Art center revient sur les projets urbains de Christo et Jeanne-Claude et permet, grâce à des dessins et maquettes, de mieux comprendre la genèse de ces aventures hors normes. Visite guidée
Lower Manhattan Packed Buildings, Project (2 Broadway and 20 Exchange Place) Collage 1964-66 Photo : Eeva-Inkeri © Christo 1966 + Wall of Oil Drums, Project for Museum of Modern Art, at 53rd Street, New York City Collage 1968 Photo : Vincent Everarts © Christo 1967
Christo a réalisé ses premiers emballages en 1958, peu après son arrivée à Paris. C’étaient des objets tout simples qu’il avait à portée de main, un téléphone une chaussure ou un pot de peinture. C’est une manière de repenser des objets tellement usuels que l’on n’a plus conscience de leur forme. Ils sont gommés pour mieux apparaître. Il fera de même avec les grattes ciels new yorkais. Des projets non réalisés qui sont un jeu de cache-cache avec l’espace urbain. Il serait injuste de réduire Christo à ses empaquetages. Dès 1962 à Paris, il bloque une rue avec un empilement de barils de pétrole en signe de protestation contre le récent mur de Berlin. Tout au long de sa carrière, il a poursuivi son travail avec des barils métalliques colorés. Et le monde attend avec fébrilité l’immense Mastaba, haute de 180 mètres qu’il espère ériger à Abou Dhabi.
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Kunsthalle Bern Packed, Project for 50th Anniversary of the Kunsthalle Bern, Switzerland Drawing 1968 Photo : André Grossmann © Christo 1968
Christo est un dessinateur extraordinaire. Les dessins avec lesquels il finance ses projets sont des œuvres en soi. Nerveux et précis, ses traits de crayon gratifient ses esquisses d’une forte puissance d’évocation. Les lignes de construction pourraient suggérer un geste inachevé, pourtant ses dessins sont incroyablement vivants. En 1968, le couple d’artistes emballe son premier bâtiment, le Kunsthalle de Berne grâce à l’invitation enthousiaste de Harald Szeemann qui en était le directeur. 2430 m2 de polyéthylène translucide empaquetaient le centre d’art où se tenait une exposition d’art environnemental. Les lumières du soleil et de la capitale suisse envoyaient des reflets changeants qui caressaient la forme aussi légère que massive.
The Pont Neuf Wrapped, Project for Paris Drawing in two parts 1984 Photo : Eeva-Inkeri © Christo 1984
Le premier projet pour emballer le Pont-Neuf de Paris remonte à 1975 alors que Christo et Jeanne-Claude y habitaient. Ce n’est qu’en 1985 qu’ils ont obtenu le feu vert des autorités parisiennes après d’innombrables demandes et modifications. Les différents grands dessins exposés témoignent d’une longue gestation faite d’ajustements techniques comme de choix de tissus. Entre rapport technique et rêverie auto-réalisatrice, un dessin raconte une œuvre qui n’existe pas encore. Au centre de la pièce, la grande maquette du pont qui fut exposée à La Samaritaine pendant la campagne de séduction des parisiens. On ne pouvait pas encore marcher dessus. Mais on y était presque.
Wrapped Reichstag, Project for Berlin Drawing in two parts 1995 Photo : André Grossmann © Christo 1995
Le Reichstag est sans doute le bâtiment le plus symbolique d’Allemagne, incarnation de la fragilité de la démocratie. En 1971, Christo fit le premier dessin d’un Reichstag emballé. Vingt-quatre années plus tard, la chute du mur et la réunification lui ont apporté un momentum unique et décisif. Pendant deux semaines, le miroitant tissu argenté, cintré de cordes de polypropylène bleu, créait un mouvement rythmé de plis verticaux qui révélaient les structures et les proportions de l’imposant bâtiment. Une foule innombrable est venue admirer cette création improbable comme un cadeau tombé du ciel pour effacer les pages sombres de l’histoire et réécrire un nouveau chapitre plein de promesses. Les photos de Wolfgang Volz montrées au sous-sol donnent une idée de l’effet de sidération que peut provoquer une œuvre de cette envergure.
Wrapped Trees, Project for The Avenue des Champs Elysées, Paris Drawing 1969 Photo : Vincent Everarts © Christo 1969
En 1969, Christo imaginait d’envelopper d’une bâche translucide les 330 platanes qui bordent les Champs Élysées à Paris. Maurice Papon, Préfet de Paris à l’époque, refusa leur préférant des guirlandes de Noël. L’idée continua à bourgeonner dans l’esprit de Christo et Jeanne-Claude pour finalement aboutir en 1997 avec les 178 arbres du parc de la Fondation Beyeler à Riehen en Suisse. Les branches de ces arbres emballés repoussent tant qu’elles peuvent le tissu translucide créant autour d’elles des volumes instables constamment redessinés par l’ombre, la lumière et le vent. Comme un gros calque posé sur un dessin, cette enveloppe protectrice isole les branches squelettiques des rigueurs de l’hiver et rappelle qu’un arbre sans feuilles n’est pas la fin de tout.
Surrounded Islands, Project for Biscayne Bay, Greater Miami, Florida Drawing in two parts 1982 Photo : Wolfgang Volz © Christo 1982
Encerclés de leurs corolles de tissu rose, les 11 petits ilots disséminés dans la baie de Biscayne, au large de Miami, ressemblent à des nénuphars posés sur le bleu de l’Atlantique. Ce fut pour les artistes et leur équipe l’occasion de nettoyer ces îles inhabitées des débris et déchets qui s’étaient accumulés au fil des ans. Pour l’immense population vivant dans ce secteur entre terre et mer, c’est un changement radical du paysage, un nouveau regard sur des espaces incultes, improductifs, alors qu’ils participent à la beauté de la nature. Après deux semaines, l’équipe des artistes a démonté la couverture de polypropylène pour rendre la baie à ses eaux, mais dans la mémoire du public le rose était mis.
Infospratiques
The Gates, Project for Central Park, New York City Collage in two parts 1980 Photo : Wolfgang Volz © Christo 1980
Toutes les grandes œuvres de Christo et Jeanne-Claude ont été conçues pour offrir une expérience au public. Dans les villes, c’est par la marche que les gens vivent des expériences. A New York, Central Park est un des lieux où se croisent le plus de marcheurs. The Gates est un parcours de 7503 portiques habillés d’une voile safran qui serpente à travers le parc. Christo et Jeanne-Claude choisissent soigneusement la période de réalisation de leurs projets en fonction de la lumière, des vents. C’était février 2005 pour The Gates, période où les portails et les voiles de tissus pouvaient se voir de loin à travers les arbres sans feuilles du parc. Pour les promeneurs, le tissu coloré formait un plafond mouvant de couleurs chaudes qu’on pouvait presque toucher en tendant les bras. En prenant de la hauteur, The Gates devenait une rivière dorée qui disparaissait puis réapparaissait à travers les sombres branches des arbres dépouillés. La nature réinventée.