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©Larry Fink

Interview intégrale Larry Fink

Gilles Bechet -

The Beats – Larry Fink: interview intégrale

Qu’est-ce qui vous est venu à l’esprit quand vous avez ressorti cette série après tout ce temps?
Ma première impression, c’est que c’était parfait. Les jeunes d’aujourd’hui ont, pour la plupart un profond désir d’authenticité et ils voient cette époque des beats comme très authentique. En la ressortant, je ne pensais pas nécessairement proposer des modèles à imiter.  Mais c’est une évidence pour moi que c’était une vie authentique dans toute sa rudesse et ses aspérités.

Vous avez également écrit qu’ils étaient des imposteurs?
C’est vrai que j’ai dit ça mais ils n’étaient pas des imposteurs, ils en avaient seulement l’apparence. Ils étaient la deuxième génération après Kerouac et Ginsberg et ils étaient bien trop pétés. Ils ont puisé l’énergie de l’époque et ils l’ont utilisée à leur manière. Je ne les qualifierais pas d’imposteurs.



Ils ne prétendaient pas être quelqu’un qu’ils n’étaient pas?

Non

Les jeunes d’aujourd’hui le font. 

C’est ce qui les différencie?
Tout à fait. Les jeunes qui vivent comme ça aujourd’hui ont des bourses. Ces jeunes-là venaient de la classe ouvrière.

Vous avez dit qu’il y avait beaucoup de colère en vous quand vous étiez adolescent, est-ce que cette colère a guidé ces images?
Ce n’est pas la colère qui a guidé ces images, mais l’amour. Sinon, je suis toujours animé par la colère aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’une bonne photo pour vous?


Les réponses à cette question sont assez complexes. Avec toute mon humanité, je dirais que le plus important pour moi dans une photographie, c’est qu’elle permet de donner un témoignage ou une interprétation sur ce que signifie être présent dans le moment. Le photographe prend tout ça en considération et voit ce qui s’en dégage, que ce soit à travers la vie ou à travers le volume du sujet. Au final, il faut arriver à rendre cette image tellement irréfutable qu’elle sera présente à jamais, et ainsi nous permettre de partager notre part commune d’humanité

.

Ces jeunes gens que vous avez photographiés, cherchaient-ils une forme d’utopie ?

L’utopie n’est pas quelque chose qu’on peut toucher des doigts. Ils cherchaient une manière et une raison de vivre pour goûter à une certaine harmonie intérieure et à la grâce de la poésie et de toutes ces choses qu’ils avaient en eux. Je ne pense pas qu’ils étaient influencés par Rousseau ou tout autre pensée européenne, mais ils étaient en quête d’une grâce spirituelle et ils l’ont poursuivie.



Comment vous considéraient-ils?
J’étais définitivement un étranger. Je n’étais pas comme eux. Je n’étais pas prêt à prendre les mêmes risques et je n’étais pas prêt à prendre les mêmes drogues non plus. Ils prenaient des drogues assez dures. Ils me prenaient pour un gosse de bourgeois de Long Island, ce que j’étais, même si j’étais un gauchiste. Du coup, on était souvent en conflit mais comme on s’envoyait en l’air de temps en temps, ça passait.

Ils prenaient beaucoup de drogues dites-vous, mais  ça reste en dehors de vos photos?

Je ne le voulais pas. Je n’étais pas un journaliste, j’étais à l’intérieur et je les considérais comme des gens à protéger. En tant que photographe, je ne voulais pas que des images d’eux en train de fumer ou de se shooter ou ce genre de saloperie soient diffusées en public. Je voulais qu’ils restent à l’abri. C’était ce qu’ils faisaient et, pour être tout à fait honnête, ça me gênait un peu parce qu’à certains moments ils étaient complètement largués. Mais sinon, j’avais juste envie de les protéger d’eux-mêmes et de ne pas verser dans le journalisme à sensation sur leur addiction à la drogue dans le genre « Beatniks dans la caniveau ». Je voulais éviter ce genre de journalisme merdique.

A cette époque, y avait-il un fossé entre ces jeunes et le reste de la population?
Waouw. Énorme. A cette époque, il n’y avait pas de médias qui pouvaient tout assimiler très rapidement. Ces gars étaient complètement seuls.  Les autres gens appartenaient à une société très conventionnelle et très différente d’aujourd’hui. Ils portaient le costume, ils étaient très conformistes. C’était après la guerre et spirituellement, il n’y avait aucun souffle. C’était comme un préambule à la mort spirituelle que nous connaissons aujourd’hui.

Êtes vous resté en contact avec certains d’entre-eux ?


Jusqu’à ce qu’ils soient tous morts.

Certains d’entre eux tenaient-ils un journal ou avaient-ils une production artistique?

Turk est devenu une légende et un héros à sa manière. Il n’écrivait pas mais faisait beaucoup de peinture et de dessins. Sinon, il construisait des bateaux à voile sur commande. Il dessinait dans le style de Keith Haring, mais c’était 30 ans avant et il n’avait  pas d’agent de com.

Vous avez aussi écrit que ces gens étaient très avides de se faire photographier
Oui c’est pour ça que j’avais parlé d’imposteurs sans me faire comprendre parce que ce n’est pas correct. A l’inverse de Kerouac et de Ginsberg, ils n’étaient pas incroyablement doués. Ils savaient bien que pour donner de la validité à leur existence, il fallait la documenter parce que sinon ils auraient disparu avant même d’être apparus. Ils avaient vraiment besoin d’un photographe.

Vous avez suivi des cours avec Lisette Model, quelle est la chose la plus importante qu’elle vous ait transmis?
Son humanité.

Vous n’en aviez pas avant?
Je n’en avais pas conscience, pas de la manière dont elle me l’a appris. Elle m’a montré l’universalité de l’humanité et poussé à vivre dans le présent sans faire de jugement. Une chose est extrêmement importante, c’est une sorte de bonté d’esprit mais ça doit être informel. C’est accepter tout le monde avec ses différences. Certaines personnes sont pleines de colère. Vous pouvez photographier leur colère mais pas sans amour. La colère n’est pas une impasse, cela peut être un tremplin pour des actions. La colère peut être du combustible pour critiquer et ouvrir les yeux et pour s’ouvrir au processus artistique.
Vous enseignez toujours?


Oui, j’ai 74 ans et je ne renonce pas. J’enseigne au Bard College dans l’état de NY à trois heures de la maison.

 

Larry Fink, The Beats, Exposition photos jusqu’au 04/ 07/2015, Box Galerie, 88 rue du Mail, 1050 Bruxelles 02 537 95 55 www.boxgalerie.be