Larry Fink
le temps suspendu

Gilles Bechet -

The Beats ©Larry Fink
Ils s’appellent Turk LeClair, Randy, Ambrose ou Mary. C’étaient des jeunes marginaux qui ne se reconnaissaient pas dans l’Amérique étriquée de l’après guerre. En 1958, Larry Fink a 17 ans, il n’est pas encore photographe et il est déjà en colère contre la société. Pendant plusieurs mois, il a traîné avec ces clochards célestes, il les a suivis jusqu’au Mexique. Les photos qu’il en ramenées sont restées dans un tiroir pendant de longues années. Elles sont aujourd’hui visibles à la Box Galerie et dans un livre.

 

The Beats ©Larry Fink
Ce sont des images d’une autre époque, qui nous est étrangement proche, démultipliée par la pub, le cinéma, les dégaines de dizaines de musiciens, d’acteurs qui se la jouent cool. On se croirait de le catalogue d’une marque de prêt à porter branchée. Mais ici la pose est naturelle, elle ne vire pas à la posture. Ces jeunes-là avaient choisi la marge en sachant qu’ils y resteraient toute leur vie.
InterviewLarry Fink

 

The Beats ©Larry Fink
Ils vivaient pour le moment présent, sans penser à demain. « Tout ce qu’ils cherchaient, c’était une manière et une raison de vivre pour goûter à une certaine harmonie intérieure et à la grâce de la poésie et de toutes ces choses qu’ils avaient en eux. » Ils sont tous morts aujourd’hui, restent les photos à regarder en écoutant Coltrane, Mingus ou Art Blakey qu’ils entendaient depuis le club de jazz voisin du sous-sol qu’ils occupaient sur Sullivan street.

 

The Beats ©Larry Fink
En décrochage avec sa famille, Larry Fink a vécu son immersion dans la faune bohème de Greenwich Village, comme l’irruption dans la vraie vie. Pour les beats, il est toujours resté ce jeune fils de bourgeois de Long Island avec ses obsessions marxistes. Cette mise à l’écart involontaire lui a permis de garder la distance avec ses sujets, de tirer des images avec une grande sûreté de composition et un travail de la lumière et des contre jours, incroyablement assuré pour son jeune âge. Il a aussi cette capacité innée de saisir des images iconiques qui dépassent leur sujet.

 

 

 

The Beats ©Larry Fink
Aucune colère dans ces images. Aucune scène d’action, plus de moments en suspension d’où se dégage une sorte d’assurance paisible, intense parfois. La révolte pour ces jeunes, elle était dans leur volonté inébranlable de vivre la vie qu’ils avaient choisie, à l’écart de l’agitation consumériste. Le temps pour ces garçons et ces filles s’écoulait définitivement à un autre rythme. Un quotidien rythmé par la consommation répétée de drogues douces et dures que Larry Fink s’est toujours refusé à photographier. «  J’avais juste envie de les protéger d’eux-mêmes et je ne voulais pas verser dans le journalisme à sensation avec des images de leur addiction à la drogue. »
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The Beats ©Larry Fink
De Lisette Model avec qui il a suivi des cours après son odyssée beatnik, Larry Fink dit avoir appris à faire ressortir son humanité. « Elle m’a montré l’universalité de l’humanité et poussé à vivre dans le présent sans faire de jugement. » Accueillir tout le monde avec ses défauts, ses faiblesses et ses colères. « On peut photographier des personnes en colère, mais pas sans amour. La colère n’est pas une impasse, elle peut être un tremplin pour agir. La colère peut être du combustible pour critiquer et ouvrir les yeux et pour s’ouvrir au processus artistique.