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Percepts
Manchester, Royaume-Uni, 22 mai 2017, 2018 © Léa Belooussovitch

LES TROUBLES ABSENCES
DE LÉA BELOOUSSOVITCH

Gilles Bechet -

A première vue, on pourrait parler d’abstraction atmosphérique. Puis, on se dit que les compositions que Léa Belooussovitch présente à la Galerie Esther Verhaeghe ne peuvent être complètement abstraites. On sent qu’il y a quelque chose d’autre dans le volume de ces formes qui semblent figées dans un moment indéchiffrable, comme une présence qui se cache. Et c’est le cas.

 

Couleur de l’image

Dans cette série de dessins, l’artiste s’inspire de photos d’événements violents publiées dans la presse. Des catastrophes, accidents ou attentats, simplement identifiés par un nom de ville, un pays et une date. Barcelone, Espagne, 17 août 2017 ou Kaboul, Afghanistan, 27 janvier 2018 ou encore Manchester, Royaume-Uni, 22 mai 2017. Les images souvent voyeuristes d’inconnu(e)s saisis dans la stupeur d’un événement irreprésentable sont ramenées à des formes colorées aux couleurs pastel et légèrement acidulées. Des couleurs déjà présentes dans l’image de presse assure l’artiste, mais que la violence de l’événement nous empêche de voir. Face à la brutalité triviale des images, elle opère un travail de transcription, largement intériorisé.

Plus je vois les images, plus elles s’impriment en moi. Quand je commence à dessiner, je ne les regarde que par moments. Il n’y a que moi qui voit la scène que je dessine. J’aime cette idée que chaque dessin soit une énigme pour le spectateur.

 

Voile de feutre

Léa Belooussovitch critique l’exploitation médiatique de l’image, mais elle reste lucide. Désormais, on a besoin d’images pour être informé, on ne peut plus revenir en arrière. Mais ces personnes n’ont pas demandé d’être photographiées. Les photos que je choisis de dessiner ne devraient pas exister. Avec ses délicats coups de crayon, Léa Belooussovitch pose un délicat voile de feutre sur la violence banalisée des drames dont on nous rend témoins presque malgré nous. Elle extrait des corps et des visages de l’inépuisable flux de l’information pour leur rendre l’oubli et l’anonymat.
Il y a un contraste entre la quasi instantanéité de la photo de presse et le lent travail de dessin et d’absorption des couleurs. Deux échelles de temps qui en disent beaucoup sur notre époque. Par le filtre de l’art, elle fait voir l’image, autrement, en gommant la violence. Et révéler autre chose .
Par sa technique particulière, le crayon de couleur sur feutre, l’artiste crée une note douce et vibrante, comme si la couleur était en suspension, quelques millimètres devant son support matériel. Les couleurs, assure l’artiste. Elle n’a rien inventé.

 

Révéler l’invisible

Bruxelloise d’adoption, l’artiste française vient de recevoir le Prix jeunes Artistes du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2018. Que ce soit dans ses dessins, ses photos, vidéos et installations, son oeuvre est hantée par l’image du réel qui se diffuse dans la société contemporaine. Mais ces images d’actualité, dont on est bombardé dans les médias, finissent par se substituer au réel dont elles ne sont qu’une vision parmi d’autres.
Dans sa série Blue Wall of Silence, elle joue à nouveau sur l’absence pour révéler ce qui est devenu invisible. Sur des images extraites de vidéos amateur documentant des violences policières, l’artiste a minutieusement effacé la victime pour ne laisser que les gardiens de l’ordre dans une étrange chorégraphie figée. Ce sont des scènes de rue tout à fait banales. On reconnait ici une porte de garage, là un jardinet ou une place publique, un morceau de rue et même une chaussure orpheline, dernier témoin muet d’une bavure passée au bleu. Les images sont présentées imprimées en haut à gauche d’une feuille A4 glissée dans une chemise de plastique bleue. Comme des dossiers incomplets qui trainent au fond d’un tiroir fermé à clé dans un commissariat.
L’effacement et l’absence sont de troublants révélateurs qui nous montrent ce qu’on peut ou ce qu’on veut voir.

 

Léa Belooussovitch

Percepts

Galerie Esther Verhaeghe,
jusqu’au 16 février
Place du Châtelain, 37
1050 Bruxelles

 

Ouvert du lundi au mercredi de14h30 à 17h
Le jeudi et vendredi, de 11h à 12h30 et de 14h30 à 18h
Le samedi et dimanche de 12h à 18h