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© Jean-Baptiste Mondino

THOMAS FERSEN INTERVIEW LONG FORMAT

Gilles Bechet -

54 printemps dont vingt-quatre de chansons, Thomas Fersen a toujours cet air d’éternel adolescent. Cultivant sa différence, il met en musique ses histoires singulières habitées de personnages fantasques.

Un coup de queue de vache, sa dernière livraison, s’avance comme une comédie animalière, qui est d’abord une comédie de masques et de caractères. C’est en artiste jaloux de sa liberté qu’il se sépare de sa maison de disques de son industrie préférant l’aventure artisanale, qu’il vient défendre ses chansons et sa vision de son art. Un monde poétique, tendre et cruel à la fois, onirique et sensuel.

Plus qu’un auteur de chansons, vous êtes un raconteur d’histoires ?
J’ai toujours eu un fil narratif dans mes chansons. J’aime raconter des histoires plutôt que peindre des impressions. Mes histoires suscitent, je l’espère, des émotions mais aussi de l’imaginaire. Elles ont presque toujours un fil narratif concret même s’il est dilaté dans un imaginaire parfois un peu baroque. Je suis proche du conte parce que j’aime raconter, d’autant que mes spectacles comprennent des chansons parlées, des monologues en vers qui ont la forme et le style de mes chansons, mais sans musique. Mes spectacles sont faits de ça maintenant, d’un assemblage de textes parlés et de textes chantés.

Une de vos marques de fabrique, ce sont les rimes, parfois improbables.
J’aime bien un peu de fantaisie, dont celle de mettre des rimes les plus riches possibles en m’inspirant des visions populaires plutôt que savantes. Parfois, j’ai des rimes exceptionnelles qui sont difficiles parce qu’il n’y a pas beaucoup de choix. Arriver à contourner ces difficultés là, c’est un plaisir de l’esprit.

Comme associer principes et slip !
Ce sont des associations un peu inhabituelles mais pourquoi pas ! J’aime aussi avoir un vocabulaire assez élargi mais sans être soutenu. Ce n’est pas littéraire, je ne pratique pas l’exclusion. Je pense que mes textes sont accessibles à tous. Quand il y a un mot un petit peu plus rare mais jamais désuet, il m’arrive de répéter une idée pour accompagner le sens pour que celui que ne comprend pas forcément le sens de ce mot-là puisse l’appréhender quand même grâce à la suite. Je suis très très sensible à l’impact de mon langage sur l’esprit de mon prochain, puisque je fais du spectacle vivant.

Dans vos spectacles, vous incluez aussi des monologues en vers, est-ce seulement l’absence de musique qui les différencie d’une chanson ?
D’abord, il y a des formes qui ne conviennent pas à la chanson. Par exemple un dialogue entre deux personnages est difficile à faire passer en chanson quand on ne fait pas un duo. Et puis aussi parfois, certains thèmes en chanson pourraient faire un peu vieille chanson mais pas en monologue. Et puis parfois, le texte est beaucoup trop long. Il ne s’applique pas à la chanson qui a quand même des contraintes très rigoureuses. Après, tout le travail consiste à faire passer ça pour quelque chose de léger, simple. J’ai toujours eu besoin d’un cadre. Ces monologues m’ouvrent un champ de perspectives qui renouvellent mon appétit d’écrire et de faire des spectacles. Au bout de dix albums, c’est mon onzième album, je fais moins de chansons, j‘en éprouve moins la nécessité. D’abord parce que je ne peux pas tout chanter dans mes spectacles. Ma création nouvelle a de plus en plus de mal à trouver sa place dans mes spectacles parce que les gens veulent quand même entendre un petit peu de ma production passée. Autrefois, je faisais un album où toutes les nouvelles chansons s’ajoutaient aux plus anciennes dans le spectacle qui accompagnait l’album. Mais maintenant, c’est de moins en moins possible et je vois bien que je représente quelque chose dans l’esprit et dans la vie des gens et ils veulent cette réminiscence à travers mes chansons du passé. Même si j’estime que ma production est meilleure aujourd’hui, elle aura moins d’écho malgré tout. Il y a une ingratitude due à ma longévité.

Quel est votre rapport à vos anciennes chansons ?
Pour certaines d’entre elles, je n’ai plus d’intérêt, même si elles peuvent encore susciter de l’intérêt. Au bout d’un moment, on devient spectateur de ses propres chansons Le temps passe, on change. Celui qu’on n’était n’existe plus, on regarde ces chansons comme celles d’un autre et on est content de les chanter pour le public. J’ai une certaine sympathie pour celui que j’ai pu être et que je reconnais à travers les chansons. Une chanson à texte, c’est quand même quelque chose de très intérieur, de très personnel. Ce que j’y avais mis reflète celui que j’étais parce que parfois la mémoire de celui que j’étais m’a échappé. Je ne me souviens plus très bien comment j’étais à 30 et à 40 ans.

Vous aimez aussi renouveler la forme de vos chansons que vous chantez une fois en groupe, une fois au piano, une fois à l’ukulélé ?
Ça c’est un autre domaine, c’est le rapport à la musique, à l’instrument et comment habiller ses chansons. Un texte, c’est comme une femme. Il faut aller dans la garde-robe et lui choisir des vêtements. Il y a d’abord une ligne harmonique, une mélodie, et puis après un arrangement. En quelque sorte, on lui met des chaussures, un chapeau. C’est comme si on habille une idée. Dans la plupart de mes chansons, les textes viennent en premier. Je pense que c’est une nécessité de la langue française qui est très musicale mais cette musicalité, il faut l’entendre. Mais quand on veut la faire entrer dans une autre musique préalable, elle n’est pas contente la langue française, c’est pour ça qu’on dit c’est difficile d’écrire une chanson en français, parce que ça ne swingue pas. C’est le contraire. Elle swingue, mais il faut l’entendre contrairement à d’autres langues composées de mots plus courts dont on peut réinventer le swing à son gré de façon plus facile et commode. Les langues latines, l’italien, le français, l’espagnol sont des langues très musicales, mais il faut entendre cette musique là, avoir l’oreille et la restituer après avec les instruments. Lui faire un environnement qui lui convient et c’est délicieux.

Quand on rhabille la chanson, ça devient une nouvelle femme ?
Oui en quelque sorte. On croyait la connaître ( ha ha ha)

Pour cet album, vous avez choisi des habits de cordes ?
C’est un cahier des charges que j’ai confié à Joseph Racaille, un ami extrêmement précieux et intime depuis longtemps. Quelqu’un que j’aime fréquenter avant même de travailler avec lui. J’ai vraiment de l’amour pour ce type là parce que j’aime sa conversation et j’aime ses talents d’arrangeur. Je lui ai proposé de faire les arrangements du disque en lui donnant une contrainte: ce sera avec un quatuor à cordes pour toutes les chansons. Il m’a suggéré qu’on introduise dans ce quatuor à cordes, un cinquième instrument, à cordes aussi, mais lui issu de la tradition populaire contrairement au quatuor constitué de deux violons, d’un alto et un violoncelle, des instruments de la bourgeoisie Je trouvais ça intéressant et je reconnaissais bien là son esprit espiègle que je partage. Il a donc écrit pour le quatuor et également des phrases pour la mandoline et le banjo qui d’habitude sont des instruments d’accompagnement. On a eu beaucoup de plaisir à enregistrer l’album et puis on va venir à l’AB pour faire le spectacle avec le quintette. Un spectacle qui sera fait des chansons du disque, des chansons que Joseph avait arrangées dans mes disques préalables et les monologues que j’écris depuis deux ou trois ans.

Vous avez aussi participé au projet d’une série sur Gaston qui ne s’est pas fait. Déception ou soulagement ?
J’ai été déçu parce que j’ai fait les voix pendant un an. Ils m’ont payé pendant très longtemps. C’est la fille de Franquin qui m’avait choisi mais finalement c’est la production de France 3 qui m’a mis à la porte. C’est dommage parce que je crois que je le faisais vraiment bien. j’ai souvent eu des problèmes avec les producteurs. Ça ne se limite pas aux disques.

Etes-vous un grand lecteur de B.D. ?
J’ai surtout lu Lucky Luke quand j’étais enfant. Mes parents avaient trouvé deux baby-sitters, c’étaient un frère et une sœur, les Debecker, je ne sais pas s’ils étaient belges. Lui s’appelait Benoit lui m’a fait découvrir Lucky Luke, le texte, et elle m’a appris à jouer sur une superbe guitare, elle m’a appris la musique. Ils étaient précieux quand même. Ils m’ont mis le pied à l’étrier. Dans ma façon d’écrire, il y a un esprit qui était déjà dans les premiers Lucky Luke, même ceux d’avant Gosciny, il y avait une certaine rugosité que j’aimais beaucoup. Ils étaient peu loquaces ces personnages. Ils étaient plus bavards avec Gosciny après. C’était marrant mais j’aimais beaucoup les premiers albums.

On a fêté les 40 ans du punk, vous avez commencé avec ça quel est le lien que vous avez encore ?
C’est terminé, c’était mon adolescence. Mon goût s’est raffiné avec le temps comme ça se passe naturellement, mais j’ai toujours une certaine sympathie pour cette époque qui est celle de ma jeunesse. Et puis il y avait une dynamique joyeuse. J’ai des souvenirs formidables, pas forcément tristes, enragés ou destructeurs qu’on associé souvent au punk.

Si dans la musique vous n’y êtes pas, votre décision d’abandonner votre maison de disque pour l’auto production rappelle la philosophie punk du DIY ?
Je n’ai pas d’hostilité ni d’idée préconçue sur l’industrie. Et je crois que je m’en porte mieux. J’essaie simplement de trouver mon espace de liberté, d’arriver à fonctionner dans le contexte actuel. Je n’ai pas du tout en moi d’amertume ni de désir de changer ça, de changer le monde ou de changer les règles. Ce n’est pas moi qui les impose. J’ai toujours été comme ça. J’ai toujours essayé de me faufiler dans ce que les autres établissaient pour des raisons que d’ailleurs je ne maîtrise pas. Parce qu’elles sont la plupart du temps économiques et que ça ne m’intéresse pas.

 

Lire ici la chronique du CD et voir le clip de Encore cassé

En concert le mercredi 26 avril à l’Ancienne Belgique