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Vincent Glowinski, Gorille, 2014 (C) Galerie Mathilde Hatzenberger

Vincent Glowinski
Interview long format

Gilles Bechet -

Dans son interview qu’il nous a accordée en marge de son exposition à la Galerie Mathilde Hatzenberger, Vincent Glowinski évoque son processus créatif et l’état particulier dans lequel le plonge ses performances et pourquoi, pour lui, l’art est une impérieuse nécessité.

 

 

 

Vincent Glowinski est un artiste multiple, difficile à cerner et en même temps profondément cohérent. Il n’a jamais été l’artiste d’une seule technique, mais son univers peuplé d’animaux antédiluviens, de squelettes et de paysages dévastés diffuse dans tout son travail comme une substance insaisissable à même de se glisser sous les portes closes de l’inconscient. Au petit matin, la ville a découvert de grandes fresques réalisées à la brosse et en rappel sur les murs aveugles par un artiste qui se faisait appeler Bonom. Depuis qu’il a jeté le masque, Vincent Glowinski a abandonné, en principe, ses expéditions nocturnes à haute teneur en adrénaline. On l’a ensuite vu sur scène, en Human Brush, utilisant son corps comme un pinceau pour donner vie à un bestiaire extraordinaire qui nous ramène aux origines de la vie. On a vu des performances habitées rythmées par la frappe du batteur Teun Verbruggen. On a vu aussi ses grandes expositions à l’Iselp et au Botanique où il dévoilait de grandes sculptures en peau, des dessins et des peintures. Toujours à l’écoute de son bouillonnement intérieur, l’artiste cherche sans cesse de nouvelles voies, curieux d’expérimenter pour se rapprocher en cercles concentriques d’une destination qui, tel un mirage, s’efface dès qu’on croit l’atteindre.

 

Une partie des dessins de l’exposition a été réalisée au cours des performances avec le batteur Teun Verbruggen. En galerie, ils acquièrent une autre dimension ?
Oui, la performance est faite sans penser au dessin et ce qu’il va devenir. Je me lance en fonction de la narration et du rythme. La plupart des dessins finissent toujours par être presque complètement recouverts de noir. Après, l’ensemble constitue une sorte de matière où parfois c’est juste un bout du corps dessiné qui ressort au milieu d’un chaos. Je trouve que c’est intéressant d’aller les rechercher. J’ai commencé ces performances il y a déjà longtemps et je sais vers quoi je veux aller. Ce travail ne peut pas être exposé tel quel en galerie. Il faut un tri. Je veux voir ce qui fonctionne et ce qui accroche. C’est un nouveau rapport au public et aussi un rapport commercial. Je veux arriver à présenter des dessins qui résultent d’une mise en situation assez rare que je ne sais pas reproduire seul chez moi.

 

Pendant cette performance, le dessin échappe-t-il au contrôle conscient ?
Ce n’est pas conscient du tout. Ce sont des états émotionnels intenses où c’est le corps qui parle. Plus je le fais, moins c’est conscient et moins je me prépare. Je m’applique même à ne pas préparer. C’est tout un travail de ne pas avoir d’image en tête avant de commencer pour que ce qui sort soit aussi une surprise pour moi et qu’apparaissent des narrations que je n’avais pas soupçonnées au préalable.

 

Quand on voit les images de performance sur votre site, on ne sait pas si c’est la musique qui vous accompagne ou si c’est vous qui accompagnez la musique ?
C’est vraiment un dialogue, il y a un va et vient. C’est une mise en situation où il y a une forme de possession. Les dessins se créent, la musique me suit, je suis la musique. Ce sont des vraies expériences que j’adore. Je me prépare à l’imprévu. Je me mets en condition, comme dans les graffitis. Avec le batteur, il y a une sorte de complicité, une confiance qu’on doit retrouver si on ne s’est pas vus depuis quelque temps. Pour moi, c’est un chemin. Pour cette première exposition en galerie, j’ai été piocher dans des choses anciennes pour moi qui n’avaient jamais été montrées de cette façon-là.

 

Ce qui est particulier dans votre travail, c’est la diversité des modes d’expression, les graffitis, la peinture gestuelle de Human Brush, la peinture, les dessins et la performance, les sculptures en peau et les marionnettes. Est-ce pour éviter l’ennui dans un seul médium que vous passez de l’un à l’autre ?
Je me suis beaucoup diversifié, mais pas parce que je me lasse trop vite d’une technique. C’est surtout une question d’âge qui m’a poussé à chercher différentes formes d’exploration et d’excitation. Depuis quelques années, j’ai arrêté de me diversifier et je m’en suis même fait un peu loi. Tous ces différents médiums ont pour moi beaucoup de liens entre eux. Ils ne sont pas là par hasard. Maintenant je cherche plutôt à les réunir qu’à me diversifier. Que ce soit les sculptures en peau, Human Brush, les dessins de performance, c’est vraiment le même terreau de base. Plus jeune, je pouvais avoir envie de savoir tout faire. Désormais, j’ai plutôt envie d’approfondir ce que j’ai commencé. Je présenterai bientôt une nouvelle version de Human Brush, plus narrative et plus proche de mes intentions d’origine. Avec Human Brush, le sujet n’est jamais touché, c’est un peu comme si je tournais tout autour sans atteindre le coeur.

 

Quand on passe à un nouveau médium qu’on a peu pratiqué, n’a-t-on pas plus de liberté pour casser les codes ?
C’est vrai que j’ai un vrai plaisir à passer d’un milieu à l’autre parce que chaque fois ça me libère. Ces dernières années, j’ai fait beaucoup de spectacle, et maintenant j’ai freiné un peu de ce côté là. Avec cette première expo en galerie, j’ai l’impression de retrouver les arts plastiques après un long parcours dont je me suis libéré en allant chercher ailleurs. C’est une façon de muer et de n’appartenir à rien, ce qui me laisse très libre. Dès que j’ai le sentiment d’appartenir à quelque chose, ça me panique. J’ai peur de m’enfermer dans un piège. Après Human Brush, je n’avais pas envie de devenir chorégraphe et homme de spectacle. Cette mutation permanente est difficile à entretenir, mais c’est en même temps très confortable. Ça me permet toujours de me retourner vers mon sujet à moi et pas vers un métier ou une forme prédéfinie.

 

Quelle est actuellement l’expression que vous privilégiez dans votre travail au quotidien ?
Ce sont des grandes toiles de 6 mètres sur 12 que je réalise en tandem. A la base, je les ai pensées comme des décors de théâtre et je me suis progressivement rendu compte qu’elles fonctionnent toutes seules.

 

Travailler à deux, c’est une manière de se mettre en retrait ?
Oui mais c’est surtout un nouvel apprentissage pour moi parce que je le fais avec un collègue, ancien chef d’atelier de la Monnaie. Avec ses 10 ans de carrière, il a un regard sur la peinture et un savoir-faire dont je prends beaucoup. On travaille ensemble mais j’ai l’impression d’être encore un élève. Ce que je fais avec lui, je serais incapable de le faire seul. Du coup, il y a un mélange des regards et des compétences qui m’enrichit beaucoup. Il me donne un sang neuf dont j’ai besoin parce que sinon je deviens vite envahissant avec moi-même. Quand je travaille avec un musicien, c’est aussi du sang neuf.

 

Est-ce pour éviter de vous répéter que vous multipliez les expériences ?
Me répéter ? Non je crois pas parce que si c’était le cas, j’arrêterais. Ma grande hantise a longtemps été de perdre le « truc » qui me poussait à créer. On pourrait l’appeler inspiration, état de nécessité ou capacité à créer. J’ai arrêté d’avoir peur de ça en voyant la manière dont ça resurgit malgré moi tout le temps. Je suis construit avec ça maintenant, je ne vois pas comment je pourrais faire marche arrière. Je n’ai pas peur de me répéter parce que si ça ne vibre plus de cette nécessité, ça se sent tout de suite. Le dessin me lasse à l’instant-même où il est fait. Il me dégoute tout de suite et je ne vais pas continuer. Je ne m’inquiète pas pour ça.

 

Le mouvement est très important pour vous. Dans Human Brush, vous transposez le mouvement en dessin et il vous arrive de vouloir animer vos dessins ?
Oui. Tout est mouvement, tout le temps. Et l’image est précisément la fixation du mouvement. Comme l’est Human Brush. C’est ce qui rend difficile de s’arrêter sur un dessin et pas un autre et puis de dire qu’il est fini. Ce dessin dépend de son contexte, et de son moment. Tout est en mouvement tout le temps. C’est comme une hygiène de vie. Je n’arrive pas à le concevoir autrement.

 

Est-ce la même chose avec les objets en 3D, les sculptures ?
Pour moi, ce sont des grandes marionnettes qui se mettent dans le mouvement. J’utilise la tête de l’un pour mettre sur le corps de l’autre. Pour mon expo au Botanique, j’avais coupé la tête de la grande baleine que j’avais faite pour le Potemkine pour l’exposer seule comme une pièce autonome et le corps était devenu celui d’un Diplodocus. J’avais réutilisé le bout du squelette d’un serpent pour faire le corps d’un crocodile. Pour moi, les sculptures sont des articulations et des modules qui s’agencent et se transforment. Comme des Lego. Tout ça me fait beaucoup rire.

 

Ces marionnettes sont-elles des personnages ? Y a-t-il des histoires derrière ?
Oui, il y a des histoires. Ce sont des personnages qui appartiennent à l’univers des contes. Quand je crée une marionnette, il me faut une certaine émotion et une certaine énergie, comme quand je monte sur scène. De la même manière qu’il m’en a fallu pour aller dans la rue. Dans une marionnette, ce sont des émotions très intimes et très fragiles. Mais il me faut une énergie pour me pousser à faire absolument ce personnage. Une fois qu’il est là, en volume, qu’il tient dans ma main et qu’il peut bouger, il y a quelque chose qui se passe mais je ne sais pas quoi. C’est chamanique. Quelque chose de l’ordre de la possession. Est-ce moi qui manipule un personnage ou est-ce lui qui me manipule ? C’est toujours ambigu.

 

Dans les dessins et la peinture, avez-vous aussi besoin de mettre des personnages ?
Dans la peinture, il y a deux choses qui ne se sont pas encore bien rencontrées. D’un côté, il y a le narratif lié à l’illustration et à la BD. Il y a là des personnages et toute une petite mythologie intérieure qui me plait beaucoup que je trouve pleine de sens et que je peux aller chercher dans les performances avec Teun. De l’autre, il y a la peinture et la sculpture, l’art plastique qui dépasse le sujet et va chercher ailleurs pour s’approcher de l’abstraction. J’y touche encore timidement et pourtant j’y aspire. Presque à regret souvent, je pense plus souvent au côté narratif de la BD, mais quand le sujet s’efface, j’ai l’impression de me libérer. J’ai vu l’expo Gerhard Richter à Gand. Quand on a dépassé le sujet comme il le fait, on atteint un apaisement et c’est magnifique.

 

Vous faites beaucoup d’oeuvres dans l’espace public, des graffitis comme des demandes officielles. C’est un contexte où il faut se faire remarquer, cherchez-vous à jouer sur des émotions particulières ?
Je n’y pense pas et je n’ai pas envie non plus de froisser les gens. Je ne suis pas du tout dans un conflit ouvert ou alors peut-être dans une protestation anonyme. Si c’est de l’art, c’est que je compose seul, sans commande ni personne pour me dire ce que je dois faire. Ma nécessité intérieure n’en fera pas quelque chose de joyeux. A priori, la nécessité que je ressens profondément, c’est de crier ma différence et mon isolement social. J’ai envie d’exprimer ma peine et ma solitude, même si dans l’intime il y a plein de douceur aussi que je pourrais avoir envie d’exprimer.

 

L’art doit il nécessairement toucher des sentiments noirs pour s’exprimer avec force ?
S’il ne vient pas combler un manque, l’art est futile. Dans l’allégresse, dans la plénitude, c’est difficile d’avoir quelque chose à combler. Alors que si elle comble une angoisse, un vide, un gouffre, une aspiration, l’œuvre d’art peut me rendre service et me rendre justice, même si des fois il n’y a rien à combler.

 

L’art répond-il à des besoins essentiels ?
L’art apparait une fois qu’on a réussi à se protéger de la pluie, à faire du feu et à combler ses besoins de nourriture. Une fois qu’on est sorti de la survie, c’est la première chose qui apparaît. L’art, c’est faire du feu et se donner de la nourriture pour la tête et savoir se regarder. Depuis la nuit des temps, c’est ce qui nous reste de la connaissance de soi. L’incompréhension du rôle et de la nécessité de ce qu’est l’art, est aujourd’hui tellement énorme. C’est tellement vital et parfois ça parait futile. Même moi dans ma vie, j’ai l’impression de faire de l’art quand j’ai l’impression de ne pas travailler, ce qui est curieux parce que le travail de l’artiste serait faire de l’art. Moi c’est plutôt quand je réponds à des mails et que je m’inscris socialement que j’ai l’impression de travailler. Et c’est quand je me détache socialement que j’ai l’impression de faire de l’art et quelque chose de bien. Ce détachement ne va pas être du tout encouragé et je dois le prendre sur les gens. C’est pour ça qu’il y a cette part de transgression parce qu’il faut se libérer d’un carcan social pour parvenir à atteindre ce qui éthiquement me correspond.

 

Vincent Glowinski proposera le mercredi 18 avril à Bruxelles une performance avec Teun Verbruggen dans un endroit encore tenu secret.

 

contact@mathildehatzenberger.eu

 

 

Vincent Glowinski, Sketches
22.03 > 28.04

Mathilde Hatzenberger Gallery
145, rue Washington 1050 BRUXELLES

www.mathildehatzenberger.eu

 

 

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