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©Pauline Miko
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La belle et bonne
nouvelle

Simon Brunfaut -

Depuis Héraclite, un philosophe grec qui eut l’élégance d’être bref, on sait que les « dieux sont en cuisine » .

On sait aussi que l’alimentation et la cuisine ne concernent pas seulement le ventre, les sucs gastriques et le bout de l’oesophage, mais surtout la bouche.  Celle qui enserre l’aliment, l’enrobe, lui procure un foyer éphémère et, avec l’aide de la langue, un rythme sensuel, formant le goût en se déformant.

Et voilà qu’un soir de décembre, sur la Place de Brouckère illuminée, on apprend « la bonne nouvelle » : l’alimentation se marie désormais avec le design.

De prime abord, cette union étonne. En effet, rares sont ceux qui se jettent avec avidité sur des objets design sensés sustenter leur corps oppressé par la faim. Certes l’homme a ses limites, et s’il lui arrive parfois d’être « bête à manger du foin », peut-on aller jusqu’à imaginer pour autant qu’il déguste un luminaire avec appétit sans éprouver une gêne à l’égard de son voisin de table qui fait de même avec un pied de chaise ?

C’est accorder à l’homme une mâchoire et un sphincter qu’il n’a pas. Tandis que le design emprunte actuellement des voies qui le séparent de la stricte marchandisation capitaliste, la cuisine s’aventure quant à elle en dehors de l’assiette, autour d’elle, sur ses contours, à la recherche de résonances multiples. Cet « au delà » de l’assiette semble définir son programme actuel, l’effort d’un art en pleine expansion, visant une expérience de plus en plus  complète, qui ne se borne pas à un exercice de goût et de contemplation, mais s’attèle bien plus à celui – autrement plus profond – d’une modification des consciences.

Ainsi, ce samedi, sur la place de Brouckère, on entendait plus parler d’éthique que d’esthétique. On y apercevait même une revenante : la « nature ». On y discutait de l’âme, de ses passions, de psychanalyse et de Michel Tournier. On voyait des ballots de pailles, de grands bols dans lesquels reposaient un minerai précieux sur lequel se plantaient des fourchettes et des cuillères comme des flèches de Cheerokee dans le chapeau d’un cowboy.

Un peu plus loin, on pouvait entrevoir des bacs de salades, des « mangeoires » de légumes aux couleurs chatoyantes. Ici et là, des champignons, pareils à des amas de matières en provenance d’une autre planète, ponctuaient l’environnement dominé par un vert piquant. Au milieu de ce décor, le cuisinier – le chef du restaurant Yag – se transforme en chaman, invoque le circuit court, jette un oeil à droite, pose sa main sur une casserole, agite son esprit dans tous les sens, prétend savoir ce qui se passe à l’intérieur des corps dont il a réalisé une magique étude. On ne peut plus feindre de l’ignorer : le cuisinier est un ogre de savoir, outremangeur encyclopédique, à tel point que l’on se demande si les « lumières » ne viennent pas des fourneaux en rayonnant alentours.

Et dans le fond, bien que les mots manquent encore pour décrire ce qu’il se passe exactement ici. La cuisine, tout comme le design, en revient à une exigence fondamentale : la fonction fait la valeur et la valeur fait émerger le sens. On ne fait pas ce qu’on veut, étant donné qu’on s’adresse directement à l’autre. L’autre jugera donc sans ménagement : tantôt il recrachera ;  tantôt il se lèchera les babines ; tantôt il se lèvera de son siège en maugréant ; tantôt il s’ y enfoncera avec un sourire satisfait. C’est aussi simple qu’une réaction chimique ou une formule mathématique. En somme, c’est à prendre ou à laisser – à l’image de notre époque.

La Bonne Nouvelle, 12 days of food and design stories, 4 place de Brouckère 1000 Bruxelles. Du 5/12 au 16/12 madbrussels.be