DIALOGUE DES SENS
AVEC MICHÈLE GAY

Gilles Bechet -

Entre les parfums et les goûts, il y a des liens et des connexions qui dessinent les cartes d’univers sensoriels, profondément personnels. Comment Michele Gay, experte iconoclaste et passionnée décloisonne-t-elle les habitudes visuelles, gustatives et olfactives puisammment ancrées en chacun d’entre nous ? Visite guidée de son univers, à son image, riche de sens.
© Michèle gay
Michèle Gay s’est fait connaître par la parfumerie culinaire, osant les associations les plus inattendues, mais ses curiosités la mènent dans d’autres univers, comme celui de la mode, de l’événementiel ou du développement personnel. Ce qui relie toutes ces activités, c’est l’envie de sortir certains produits et matières des habitudes olfactives liées aux parfums pour les emmener sur différents univers sensoriels. On connait tous le jasmin, ses petites fleurs blanches et son parfum capiteux.  Mais dans ses ateliers, Michèle Gay invite les participants à solliciter l’odorat ainsi que le toucher pour de nouvelles associations. Et le jasmin n’évoque plus la blancheur et la finesse, il renvoie alors, à la couleur magenta et à une matière taffetas.

 

WorkshopsMasterclasses
©Michèle Gay
Certains sens, comme le toucher et le goût, peuvent transposer l’expérience sensorielle dans des catégories assez largement partagées. Il n’en va pas de même avec l’odorat dont les récepteurs doivent décoder les messages parfois contradictoires accumulés par la mémoire et le parcours de vie de chacun. C’est pour ça qu’il est intéressant de mixer le rationnel et l’irrationnel et que cette expérience tellement personnelle peut permettre à chacun d’exprimer son individualité. Dans mes ateliers, j’amène chacun à maîtriser les matières premières. Cela demande de la curiosité mais cela permet de choisir un parfum, d’aiguiser son odorat et acquérir un nouveau langage qui peut se décliner dans la cuisine, dans la mode ou dans la manière dont on reçoit chez soi. 

 

 

©Michèle Gay
Un parfum ne se révèle pas au premier coup de nez. Sa durée de vie se décline en trois temps, le tête, le cœur et le sillage. Il est aberrant de choisir un parfum en cinq minutes, il faut lui laisser toute son expression. La tête se décline en notes de fraîcheur qui constituent une introduction. Le cœur exprime l’identité du parfum, elle perdure entre vingt minutes et une heure, s’ensuit le sillage, c’est la trace qu’on garde sur la peau. Un parfum peut plaire ou pas. En cuisine, c’est pareil. Je m’inspire et je puise dans cette thématique en trois temps pour composer mes menus-parfums. L’entrée joue sur la fraîcheur plus consensuelle alors que le plat principal permet d’affirmer une personnalité. Le sillage, c’est le goût qu’on garde en bouche.

 

 

Petit beurreparfum

 

©Michèle Gay
Michèle Gay présente chaque semaine sur Bazar sa vision des goûts et des couleurs, qui invitent de surprenantes saveurs venues des matières florales de la parfumerie. Une purée de bintje à la cannelle, une feta marinée, parfumée à l’huile essentielle d’immortelle, une mousseline de panais titillée d’une pincée de fève tonka fraîchement râpée, que d’heureuses surprises. Et une belle introduction à de nouvelles approches sensorielles, tous domaines confondus.

 

©Michèle Gay
De son enfance lyonnaise Michèle Gay garde d’abord des mémoires olfactives des préparations de son père cuisinier. L’univers de la parfumerie lui était alors complètement étranger. Tout petite, j’étais attirée par les matières, je découpais des tissus et du papier pour ensuite les recomposer. Après une formation en stylisme, premier boulot chez un traiteur confiseur lyonnais La Potinière. La cuisine événementielle lui a fait découvrir que la matière culinaire pouvait être un moyen d’expression lançant des passerelles avec la mode et le parfum. Montée à Paris, elle a travaillé comme styliste culinaire pour des traiteurs chez qui elle élaborait des menus. A ce moment là j’ai compris que ce sont les parfums, pas la technique qui magnifient le plat.

 

©Michèle Gay
Très vite, j’ai commencé à décloisonner les univers très séparés de la parfumerie et de la cuisine en surparfumant les recettes avec des épices. Quelques années d’expérimentations avec les matières, des formes et des usages, ont forgé une nouvelle discipline, officiellement sortie du moule en 2006. Michèle Gay a pris le temps d’expérimenter la discipline qui n’est pas pour elle, une fin en soi mais une porte d’entrée vers un univers plus large. Les parfums, c’est plein de choses et plein de matières qui ne demandent qu’à être explorées par le toucher et par le goût. Intriguée par son approche innovante des matières parfumées, des noms prestigieux font appel à elle. Le Crillon lui demande un thé parfum signature. L’hôtel Le Prince Maurice lui demande un parfum signature et enfin la Maison Dior l’invite à des master class pour présenter la nouvelle version du parfum Miss Dior avec un storytelling olfactif qui part des matières.

 

©Michèle Gay
Un parfum, c’est très personnel. Ca peut être aussi de sur-mesure. Depuis longtemps, j’avais envie de mon parfum à moi. Avec Anne Pascale Mathy-Delvack de l’Antichambre, on a fait une création à quatre mains. C’est une petite série confidentielle, une création qui unit le masculin et le féminin, la lavande et le jasmin. Trois ans après avoir lancé sa boutique ixelloise, Michèle Gay a décidé de réorienter ses activités avec plus de souplesse. Avec la cuisine, les matières, les couleurs, la mode et les parfums forment un tout, une philosophie de vie. J’ai  à présent envie de recevoir chez moi. L’ambiance sera plus propice à aider les gens à développer un style personnel qui se tient à bonne distance des tendances. On n’est pas dans un coaching directif mais plutôt dans du conseil et avant tout dans l’écoute et pour cela il faut s’oublier. C’est une approche très lié à la pleine conscience.

 

Infospratiques
©Michèle Gay
Aujourd’hui, je commence à me demander quelle trace laisser de ce travail et de ce parcours. Je ressens une certaine fierté d’avoir créé cette discipline, mais je me sens frustrée quand on m’y limite. Gabrielle Chanel disait « Pour être irremplaçable, il faut être différent. » Ça résonne chez moi avec les paroles de mes parents qui me répétaient quand j’étais enfant : « Ne te fais pas remarquer. » Tout mon parcours m’a amenée à aider les gens à se faire remarquer parce qu’ils sont fidèles à leur personnalité.