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Picasso, Vue sur le monument de Colomb

Carte postale de Barcelone

Simon Brunfaut -

Divagations d’un chroniqueur philosophe en vacances

 

 

1) Moi qui ressemble à une longue cigarette, j’aime Barcelone car elle a l’air d’un immense briquet Zippo. Tout y est inflammable, rien ne s’y consume : la braise s’y mélange adroitement avec la brise et la lumière. Barcelone brûle comme la flamme de ces bougies d’anniversaire qu’on peine à éteindre avec la seule force du souffle.

2) Barcelone passera-t-elle la nuit ? Personne ne semble s’en soucier. Le lendemain, elle a rajeuni. Elle agite sa robe à fleurs. Vous avez pris dix ans. Ne cherchez pas vos valises : elles sont sous vos yeux.

3) En espadrilles à Barcelone, tout reste possible. En apparence, du moins. Un instant, on se prend pour Dali, les montres mollissent et les moustaches s’affinent. Dans le Barrio Gotico, on débite des fulgurances aux passants. Plus tard, on fait un tour chez Vinçon. A d’autres moments, on ressemble davantage à un pêcheur hébété qui vient de croiser Moby Dick.

4) Montjuic domine Barcelone. C’est un écrin de verdure qui se mérite et sait se faire désirer. On monte accompagné de quelques japonais égarés, et là surprise : au sommet, des installations des jeux olympiques côtoient le pavillon Mies van de Rohe. Drôle d’agencement. Dans la descente, on croise des Néerlandais qui grimpent avec peine : ils se demandent si c’est encore « loin ». Montjuic est un paradis pour un Sisyphe en short.

5) Barcelone est remplie d’anglaises. Il suffit de se promener avec un chien minuscule sur les Ramblas pour les voir toutes créer des essaims autour de l’animal. La pauvre bête n’en demandait pas tant. La voilà qui se laisse caresser avec un air méfiant, cernée par les gloussements de ces étranges créatures chaussées de tongs fluorescentes.

6) On préfère y deviner la mer au loin. A la plage de Barceloneta, vous entendez des centaines de « quieres coco » entonnées par des pakistanais munis d’oreillettes. Vous regardez avec dépit les avions. Le ciel bleu a des reflets de barreaux dorés. On ne s’enfuit pas si facilement de Barcelone.

7) Le Paralelo en fut l’endroit le plus animé. Ouvrons un livre de Jean Genet. Il nous apprend que des gigolos s’y baladaient avec un singe apprivoisé sur les épaules pour aborder le client. Aujourd’hui, les touristes font des singeries et ils tiennent parfois des enfants sur leurs épaules.

8) Tout le monde vous dira Gaudi. Et pourquoi pas Montaner ou Cadafalch ? Peut être parce que leurs noms sont plus difficiles à prononcer. Toujours des seconds couteaux, toujours des seconds rôles. Derrière Eddy Merckx, Raymond Poulidor.

9) « Le pianiste » n’est pas seulement un film de Roman Polanski, mais un livre de Manuel Vázquez Montalbán. Si on lit bien, on peut même y entendre le bruit de certaines terrasses barcelonaises à la tombée de la nuit, tout en plongeant dans les couleurs de Miro.

10)  A Barcelone, on mange très bien, mais on se tient très mal. Mieux vaut manger seul. Qui a envie de voir sa bien-aimée tenir une gambas par la queue ?