end header
Oskar Kokoshka, Pragues, le pont Charles, 1934

Carte postale de Prague

Simon Brunfaut -

Divagations d’un chroniqueur philosophe en vacances

 

1. Il faut arriver à Prague par en haut, lui sauter dessus, en parachute ou avec un équipement de base jumper.

2. C’est à Prague qu’on développe ce goût particulier pour les compagnies d’assurances. En temps normal, elles vous laissent indifférent mais en ce cas vous retenez leurs noms. Vous prenez rendez-vous avec un courtier : vous voulez vous assurer à tout prix contre presque tout.

3. Prenez un taxi et traversez la nuit avec un chauffeur dont la tête s’enfonce dans les épaules. Apprenez la vitesse de la lumière à travers l’étincelle des architectures baroques. Goûtez l’oubli accéléré et le matin qui semble tenir au bon vouloir d’un allume-cigare défectueux.

4. Montez au château ou contentez-vous de le regarder. Vivez de procrastination sur le pont Charles en attachant des paquets de vies irrésolues à des brindilles en partance pour les mers lointaines.

5. À Prague, l’impossible se produit : vous rencontrez une femme qui parle français car elle a vécu à Rhode-Saint-Genèse. Entre les lumières des stroboscopes de la boîte de nuit bondée, une ferme intention de conquérir Rhode-Saint-Genèse avec l’armée napoléonienne naît en vous.

6. Dvorak, fasciné par le nouveau monde, finit par regretter l’ancien dans son quatuor américain. Depuis, Prague est bordée de champs de maïs. À l’oreille, la ville ressemble à un village de l’Iowa.

7. Les tombes du cimetière juif penchent. Les morts se resserrent et créent une petite société post mortem, avec ses cercles d’amis, ses initiés et ses exclus : le tout dans un désordre de chambre d’adolescent.

8. Faites la révolution à Prague, mais ayez le bon goût de la faire au printemps. En hiver, soyez plus conformiste. En automne, cachez vos idées derrière une longue écharpe anthracite. En été, allez reposer votre corps sur une plage pleine de grains de sable grégaires.

9. Mozart a écrit « Don Giovanni » à Prague. Il faut croire qu’on ne rédige pas le Manifeste de l’homme aux 1001 femmes à Rimini ou à Torremolinos entre deux frigobox, une crème solaire entamée et des mamelles qui dorent comme des pancakes.

10. Dans les métros, les rues ou les cafés, toutes les Praguoises ont l’air de joueuses de tennis. En revanche, les Praguois laissent rebondir leur ventre en perdant la balle des yeux.