Inde
au cœur de la filière coton

Philippe Berkenbaum -

L’Inde compte parmi les principaux fournisseurs textiles d’Ikea pour ses tissus d’ameublement et son linge de maison. Soucieux d’introduire une solide dose de respect des travailleurs et de l’environnement dans ses fournitures, le géant suédois impose sa vision à ses sous-traitants locaux. Reportage au cœur de la filière coton, cette fois dans le Tamil Nadu. Épisode#2

 

 

 

©KB

 

Conditions de travail

Comme elle, plus de 2.000 personnes travaillent dans les filatures de la société Asian Fabricx, au cœur de l’immense province méridionale indienne du Tamil Nadu. Aradhana, 32 ans, habite la ville voisine de Karur avec son mari et ses deux garçons, et elle remercie tous les jours le ciel de lui avoir permis de décrocher ce job il y a bientôt dix ans. Beaucoup de femmes – et même d’hommes – en Inde rêveraient d’avoir d’aussi bonnes conditions de travail, témoigne-t-elle.

 

©KB
Comme cheffe d’atelier, je gagne 12.000 roupies par mois, c’est deux fois plus que le salaire minimum local. J’ai des horaires fixes qui me permettent de consacrer du temps à mes enfants. Et les soins médicaux de la famille sont pris en charge par l’entreprise.  Mieux : le salaire d’Aradhana est versé sur un compte bancaire à son nom, ce qui lui permet d’en garder la maîtrise. C’est la règle chez Asian Fabricx. Ailleurs en Inde, c’est loin d’être le cas. Des millions de femmes restent à la maison, sous le contrôle financier de leur mari et sous la coupe de leur belle-famille.

 

 

 

 

 

©KB
Asian Fabricx produit du tissu, des accessoires textiles et du linge de maison en coton. Créée en 1974 par N.R. Venkataachalam et aujourd’hui codirigée par son fils, elle a rejoint les rangs des fournisseurs d’Ikea en 1992. Vingt-cinq ans plus tard, elle compte parmi les  fournisseurs prioritaires du géant suédois, grâce aux efforts intenses qu’elle a consentis dans deux domaines spécifiques : le respect de l’environnement et l’amélioration des conditions de travail de ses salariés.

 

©KB

 

 Nous n’en avons que quatre dans le monde, souligne Calvin Wooley, qui supervise les sous-traitants indiens d’Ikea. C’est un statut qui se mérite et qui est challengé chaque année.  Un statut d’autant plus enviable qu’il se traduit dans les chiffres : quelque 65% de la production d’Asian Fabricx aboutit dans les rayons d’Ikea à travers le monde. Et un statut envié :  Nous servons de modèle à nos propres sous-traitants que nous encourageons à suivre les mêmes engagements à travers de nombreux forums et séminaires, y compris hors de l’Inde , confirme le directeur de l’usine Abdul Naymar.

 

Iwaythe Ikea way of doing business

 

 

©KB

Responsabilité sociale et environnementale

C’est une ruche bourdonnante mais parfaitement organisée, mixte, joyeuse, où chacun a sa place et travaille dans des conditions modernes, confortables, dignes des standards occidentaux. On est loin des ateliers textiles surpeuplés et insalubres qui pullulent ailleurs en Inde ou au Bengladesh voisin. Une filature traite le coton brut, estampillé Better Cotton Initiative à 100%, bien sûr (lire aussi notre article : Or blanc en Inde, le coton autrement).

 

 

 

 

©KB

Concrètement, l’utilisation de coton BCI ne change rien pour nous en termes techniques et industriels, remarque le directeur général et fils du fondateur, V. Ashok Ram Kumar. Le processus de traitement est le même et la qualité similaire. Ce qui est le plus important à nos yeux, c’est son impact social et environnemental. Et l’on constate qu’outre Ikea, de plus en plus de clients demandent des produits BCI. »

 

 

 

 

 

©KB
C’est sans doute sur le plan du respect de l’environnement que les efforts consentis par Asian Fabricx sont les plus spectaculaires. L’efficacité énergétique est érigée au rang de religion et consacrée par des km2 de panneaux solaires et d’éoliennes qui produisent au total 28 MW d’électricité.

Des millions d’hectolitres d’eau servant au lavage et à la teinture du coton sont épurées dans d’immenses installations de traitement, les déchets sont intégralement recyclés et les produits chimiques récupérés. Les investissements à vocation sociale ne sont pas en reste. Salaires supérieurs à la moyenne locale, crèche d’entreprise, programmes de formation, transport collectif des salarié(e)s, cantine servant des repas équilibrés, distributeurs automatiques dans l’enceinte de l’entreprise pour permettre aux femmes de disposer à leur guise du fruit de leur labeur…

 

©KB

Coup de pouce à l’éducation

Sans oublier une clinique où trois médecins dispensent des soins gratuits non seulement au personnel, mais à toute personne du voisinage qui en a besoin. C’est ce dont je suis le plus fier, sourit Ashok Ram Kumar, qui nous reçoit pieds nus dans son costume et son confortable bureau. Nous soignons 30 à 40 personnes par jour, avec un objectif sous-jacent : celui d’éduquer les gens à la santé.  A propos d’éducation, des bourses d’études sont aussi accordées chaque année aux enfants du personnel qui obtiennent les meilleurs résultats scolaires. C’est sélectif, bien sûr, mais elles couvrent toute la scolarité des enfants , précise notre interlocuteur.

 

©KB

Le directeur général ne s’en cache pas : si l’entreprise familiale avait déjà la fibre environnementale et sociale, les longues années de collaboration avec Ikea  ont beaucoup influencé notre parcours dans ces domaines. C’est un cercle vertueux : cela nous permet d’atteindre des clients plus exigeants mais aussi d’attirer le personnel le plus compétent dans une région qui connaît une pénurie de travailleurs qualifiés. 

 

entretienWWF
©KB
Avec un impact logique sur la qualité des produits et les niveaux de production. Comme le dirait très bien Pramod Singh, le Mr Coton du géant suédois, la promotion avec plusieurs ONG dont le WWF (lire l’entretien ici    et d’un clic ci-contre) d’un label de production de coton plus durable ne pèse pas seulement vertueusement sur la culture de la reine des fibres végétales, mais sur tout le processus de transformation. En témoigne ce fournisseur modèle, même s’il ne devait constituer qu’une exception. Au moins a-t-il valeur d’exemple.

 

A lire l’épisode # 1 Or blanc en Inde, le coton autrement par Philippe Berkenbaum