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Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat, photo Serge Leblon

BERTRAND BURGALAT INTERVIEW LONG FORMAT

Gilles Bechet -

Bertrand Burgalat est un homme charmant. L’interview qui a pris place dans un bureau anonyme et exigu d’une chaine de télé coule comme une conversation sur les bancs d’un jardin public parisien. Il porte un costume bleu irisé en harmonie avec ses lunettes aux verres variables qui donnent un léger flou à son regard. Curieux et attentif, il a le sourire facile et le rire franc. Il est visiblement heureux de parler de son album qu’il a élaboré sans pression avec la patience d’un artisan.

La musique de ce disque nous plonge dans un monde fantasmé de cinéma. Et puis à l’écoute des textes, on sent que c’est votre manière de dire notre monde tel que vous le percevez par les sens et les émotions ?
C’est un disque qui a été fait au présent avec une série de filtres pour essayer prendre du recul sur le réel, parfois très dur, pour le rendre plus poétique, plus fantasmagorique. C’est une espèce de réalisme fantastique. En tout cas, c’est une tentative.

Le titre, est-il un contrepied à notre époque qui veut la transparence totale pour nourrir tous les big brothers gourmands de nos données ?
« Les choses qu’on ne peut dire à personne », c’est d’abord ce que j’exprime en chansons parce que je n’arrive pas à les dire autrement. En même temps, les paroles reflètent une période où non seulement, on vit dans une dictature de la transparence, mais aussi dans la prison à ciel ouvert que nous nous créons par les réseaux sociaux. Aujourd’hui on y est déjà habitué, alors qu’il y a dix ans, cela nous aurait rendus dingues. La première fois qu’on a vu une caméra de surveillance, on a dit que c’était 1984. Et maintenant, on se rend compte qu’on n’a même plus besoin de caméras de surveillance parce que tout le monde se surveille soi-même. Avec les quelques chansons où j’aborde un peu plus frontalement la réalité, j’ai l’impression d’être déjà allé suffisamment loin. Je ne me sens pas une âme d’imprécateur Ça ne veut pas dire que je me fiche de ce qui se passe, au contraire. Mais j’essaie de le faire avec modestie et humilité.

La villa Pamplemousse, c’est où ?
C’est la villa cachée de Jean Balkany. C’est le genre de choses qui me réjouissent dans l’actualité. Un type qui cache des millions et appelle sa villa Pamplemousse, je trouve ça amusant et poétique. Au début, je voulais en faire toute une chanson que je ne suis pas arrivé à composer mais je trouve que finalement, j’en ai dit assez. Je suis la villa Pamplemousse, la verrine et le voiturier. Que dire de plus ?

Musique, édition, télévision, vous êtes un artiste très multiple. Vous débarquez sur Mars, comment vous présentez vous à la femme verte aux trois seins qui vient vous accueillir à la descente de fusée ?
D’abord, est-ce qu’on se serre la main ou est-ce qu’on fait la bise sur Mars et combien de fois ? Pour me définir, je donne mon âge et ma profession. Je me considère avant tout comme un musicien, même si j’aimerais parfois faire encore plus d’autres choses. Par exemple, j’étais heureux d’écrire ce livre sur le diabète, pas pour le faire parce que ça m’a pris du temps, mais parce qu’il y a des choses qu’on a besoin de faire. Maintenant, j’ai l’impression que si j’allais sur Mars, je me mettrais dans les mêmes impasses. Je crois que si on change de vie sans se changer soi-même, on risque de passer par les mêmes trucs. Souvent, on se dit j’en peux plus de Paris, je vais aller ailleurs. On va ailleurs mais au bout d’un moment, je serais confronté aux mêmes choses.

Une musique peut-elle être élégante ?
Je ne sais pas, mais je me méfie du bon goût en musique parce que je trouve qu’une musique doit nous toucher ou pas. Il ne faut jamais avoir honte de ce qu’on aime, même si c’est mal considéré. C’est vrai de façon générale, mais en musique encore plus. Après, c’est vrai que j’ai des petites coquetteries de son, mais j’aime aussi changer. Je ne revendique pas l’élégance, en musique ou ailleurs, ce n’est jamais un critère qui a compté pour moi.

L’élégance peut aussi être excentrique ?
Je ne revendique pas non plus le dandysme, ou l’excentricité parce que je m’en méfie. Vouloir être singulier, c’est la valeur la mieux partagée. Un ami me racontait qu’il avait accompagné sa fille à un concert de Marilyn Manson, au Zénith et la salle était pleine de sosies de Marilyn Manson et qui se regardaient d’un sale œil parce qu’ils pensaient tous être les seuls à lui ressembler. En musique, je me méfie quand-même de mes automatismes. Je peux avoir tendance à vouloir prendre le contrepied de l’époque et c’est un piège. A force de vouloir tous se démarquer, on va finir par tous faire la même chose. Quand on fait un disque, la difficulté, c’est de ne pas vouloir faire le contraire de tout le monde, mais simplement se demander ce qu’on a envie d’exprimer et d’écouter? Si ça prend la même forme que les autres, ça me gène pas.

Comment choisissez-vous vos textes ? Vous travaillez avec des paroliers différents et vous avez aussi écrit les paroles de 3 chansons dont vous n’avez pas à rougir ?
Je suis très pragmatique. J’ai la chance de connaître de très bons auteurs et j’en profite. Ensuite, un album ça forme un tout. Il y a plein de textes merveilleux ou d’auteurs merveilleux qui ne vont pas cadrer avec le reste des chansons. Je ne dis pas ça par rapport à un personnage qui serait le mien. Je ne me pose pas ces questions. Les textes qui semblent les plus personnels sont ceux qui n’ont pas été écrits en pensant à moi. En tant qu’interprète, je suis au service d’une chanson qui n’existe pas encore.

Vous écrivez trop peu pour remplir tout un album ?
Je n’ose pas. Les compliments que je reçois pour ce dernier disque devraient un peu me désinhiber, mais en même temps je me pose tellement de questions quand j’écris : pourquoi écrire là-dessus, qu’est-ce que je veux dire ? Au final, je réduis tellement à l’essentiel qu’il ne reste pas grand chose. Autant la musique vient très instinctivement, autant avec les textes, je suis plus prudent, je n’ose pas. Il faut qu’il y ait quelque chose d’un peu viscéral pour le dire. Même si j’en avais écrit pour d’autres, je n’osais même pas montrer ces textes au début. Je l’ai fait sans dire qu’ils étaient de moi pour guetter les réactions. Je trouve plus intimidant d’interpréter ses propres textes parce qu’on a l’impression de se mettre presque à nu, alors que finalement les textes où je me mets le plus à nu, ce sont les textes d’autres.

Nostalgie du futur, ça vous va pour définir votre musique ?
Archéo-futurisme, rétro-futurisme, tous ces allers-retours entre passé et futur me vont très bien. J’essaie de ne jamais cacher mes inspirations et mes admirations. En musique, c’est la base si on veut aller de l’avant. On vit dans une époque de samples rarement assumés. Je pense que plus on assume ses admirations, plus on peut s’en libérer. Le rock a toujours avancé comme ça. Les Beatles étaient des admirateurs du rock des débuts. En 62, c’était un groupe de revival, mais ils ne le sont pas restés. Les Stones, étaient des missionnaires du blues. Chaque fois, il y a un socle. Ce qui est dangereux dans une époque, c’est quand elle prétend tout ignorer et ne pas être influencée et c’est là qu’il y a le plus d’influences mal digérées.

 

 

Lire ici la chronique du CD et voir le clip de la chanson Les choses que l’on ne peut dire à personne.